CES
ANTI-TERRORISTES QUI NOUS TERRORISENT
Téka Revue Infosuds - 05/10/01
Depuis
l'explosion de l'usine chimique AZF de Toulouse, la population s'aperçoit que
les industriels ont généralisé l'insécurité des agglomérations, avec la complicité
des préfectures et des mairies qui entourent ces sites dangereux de quartiers
populaires. Avant d'aller pourchasser les "barbus", on ferait mieux de s'occuper
de nos terroristes encravatés qui nous "protègent"...
La
ville rose, cité de l'armement
Toulouse serait la ville la plus agréable de France selon les sondages de l'été 2001. Et un centre européen des technologies de pointe avec Aé rospatiale, Airbus et Spot-Image. Mais ces industries civiles dissimulent pour la plupart des lieux de production et de recherche militaires (aéronautique, missiles, satellites...), surtout depuis que Aérospatiale-Matra à formu233 '8e EADS en 1999. Le site AZF, construit en 1925 par l'Onia (Office national industriel de l'azote), fut privatisé sous le nom APC (Azote et produits chimiques) en 1967. L'usine devient AZF (Azote et fertilisants) en 1983 et appartient depuis 1990 à la filiale Atofina (ex Elf-Atochem), la branche chimie du géant TotalFinaElf. Elle fabriquait divers produits (peintures, colles, engrais) à partir de gaz toxiques et de liquides inflammables et corrosifs : acide sulfurique et nitrique, ammoniac, gaz naturel, chlore, méthanol, formol, phénol, hydrogène, nitrate d'ammonium... A quelques mètres, un autre complexe chimique s'étend avec la SNPE (Société nationale des poudres et explosifs, installée depuis 1914) qui fabrique les carburants de la fusée Ariane, et Tolochimie (créée en 1961 et rachetée par la SNPE en 1996 au groupe Rhône-Poulenc), spécialisée dans les substances très toxiques, dont le phosgène, un gaz de combat utilisé durant la première guerre mondiale... Ces 2 entreprises publiques dépendent d'ailleurs du ministère de la défense. La SNPE, AZF et Tolochimie sont classés depuis 1996 sous les "contraintes de sécurité" de la directive européenne Seveso 2 (sites à haut risques).
La plus grande catastrophe industrielle du pays depuis 1945
Le
21 septembre 2001 à 10h17, l'usine AZF explose et provoque une onde de choc
qui dévaste l'agglomération toulousaine sur 30 km à la ronde. Bilan provisoire
: 29 morts, 3300 blessé s, plus de 30 000 habitations endommagées, au moins
10 000 personnes à reloger. De nombreux établissements publics nécessiteront
plusieurs mois de réparation et le coût du sinistre est estimé u224 '88 8 milliards
de francs. Le "plan rouge" prévu par la préfecture pour secourir la population
se révèle une menace : les sirènes d'alerte et les capteurs de pollution, trop
proche de l'explosion, n'ont pas fontionné ; un énorme nuage toxique se propage
dans toute l'agglomération alors qu'aucun masque à gaz n'est distribué; la consigne
officielle de confinement, dans des appartements aux portes et fenêtres arrachées
par le souffle, est maintenue ; aucune mesure d'évacuation des zones touchées
n'est organisée. Au contraire, les accès sont bloqués par la police, les quartiers
quadrillés par l'armée et les secours sont rapidement débordés face à un risque
technologique minimisé. Dès 16h, la préfecture suspend toute prévention, alors
que l'air n'a pu être analysé et que la Garonne, source principale d'eau potable,
longe AZF. Plus scandaleux reste la question du relogement de milliers de familles
des quartiers populaires dévastés. Les frais de réparation avant remboursement
des assurances sont hors de leurs possibilités malgré quelques subsides et les
HLM généralement proposées restent près du complexe chimique.
L'insécurité autorisée
Provenant
des silos AZF de "recyclage" de 300 tonnes de nitrate d'ammonium, cette explosion
survient en plein "conseil de guerre" de l'Union européenne contre le terrorisme.
Beaucoup de toulousains ont entendu 2 explosions avant l'effet de souffle. Si
la preuve d'une "malveillance" dispense le propriétaire TotalFinaElf de tous
dédommagements aux victimes, la confirmation d'une attaque terroriste rendrait
les dégats à la charge de l'Etat. "Je suis formel, ce n'est pas un attentat
organisé par un groupe" affirme 3 jours après le procureur de la république
responsable de l'enquête. Ce serait un phénomène d'auto-inflammation survenant
après de longues années de "maturation chimique", ajouté au délabrement du hangar
et au stockage permanent de divers rebus. La direction d'AZF répond que l'usine
était aux normes européennes ISO 14001 (environnement), ISO 9002 (qualité) et
en cours d'obtention de la norme sécurité. Interpellée, la Direction Régionale
de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement (qui avait inspecté AZF
en mai 2001) prétend qu'elle n'a pas les moyens de tout contrôler, alors que
le risque explosif était répertorié. Mais ses "contrôles" sont effectués sur
la base de "scénarios d'incident" élaborés par les industriels. C'est le modeste
Secrétariat Permanent pour la Prévention des Problèmes Industriels, créé en
1990 à Toulouse, qui a réussi en 1994 à convaincre le rectorat de ne pas construire
le lycée hôtelier sur les hauteurs... d'AZF ! Quant à la Commission extra-municipale
de l'environnement de la ville de Toulouse, c'est une simple chambre d'enregistrement.
Les plaintes de riverains, salariés et écologistes toulousains furent cependant
incessantes ces dernières années : atmosphère imprégnée, sols infiltrés, eaux
polluées, incidents répétés (fuites de chlore en 1986, d'ammoniac en 1998, rejets
d'acide chlorhydrique en 1999), désinformation des habitants et exercices d'évacuation
jamais effectués par la préfecture, pour ne pas alarmer les populations... En
avril 1999, le Réseau de l'Union européenne pour le respect des droits à l'environnement
constatait chez AZF des "défauts d'organisation, d'exploitation, de conception
et de fiabilité des matériels". En août 2001, Bruxelles déposait en plus un
recours devant la Cour européenne de justice contre Paris pour non application
de la directive Seveso 2... Le 28 septembre 2001, le parquet de Toulouse lance
une information judiciaire à l'encontre d'AZF pour "homicides et blessures involontaires".
Le soir même, le gouvernement Jospin débloque 1,5 milliard de francs pour reconstruire
Toulouse et annonce pour début 2002 un débat national (entre initiés) sur la
sécurité dans l'industrie chimique. Ces mesures sont visiblement destinées à
faire reposer l'ensemble des responsabilités sur AZF et à payer l'indulgence
des électeurs au frais des contribuables.
AZF flambe, les titres de TotalFinaElf aussi
AZF-Toulouse
est définitivement fermé pour préserver le lobby de la chimie française. Son
groupe, premier producteur français et second producteur européen de fertilisants
chimiques, ira se reconstituer ailleurs. Et quelques réglementations supplémentaires
(Seveso 3 ?) feront oublier la gestion désastreuse de l'Erika et d'AZF par TotalFinaElf.
Son aumone de 10 millions de francs aux victimes et son obligation par le gouvernement
de "prendre en charge les dépenses des personnes non assurées" ne représentent
pas grand chose pour la première entreprise privée française et le quatrième
pétrolier mondiale. 3 jours après la catastrophe, ses titres en bourse progressaient
de 4,07% ! Mais l'Etat entend ménager ce partenaire vital de son "indépendance
énergétique". Juge et partie dans l'affaire, l'Etat réactivera rapidement la
SNPE et Tolochimie pour relancer la production des carburants de la fusée Ariane.
Avec l'aide de tous les syndicats qui sont outrés de la suspension d'activité
de ces employeurs, sans se soucier vraiment des dangers encourus par les populations
et par les innombrables intérimaires de ces industries, ni même de leurs filiales-poubelles
des pays du Sud, encore moins des anciens ouvriers qui crèvent asphyxiés peu
après leur retraite.
Zélus mais pas zélés
Les
élus locaux sont unanimement contre la reprise du complexe chimique et rejettent
toutes responsabilités. L'attribution des permis de construire n'ayant été donnée
aux municipalité s qu'en 1984, la mairie de Toulouse fait ses comptes : "98%
des habitations du secteur touché ont été construites avant 1984". Mais l'interdiction
des nouvelles habitations autour des sites classés Seveso n'est fixée que depuis
1989 sur un périmètre maximum de 900 mètres. Le Plan d'Occupation des Sols du
secteur, remanié en 2000 par la mairie, adaptait la loi au terrain plutôt que
l'inverse. Et le projet d'urbanisme censé prendre en compte tous les
aspects de l'avenir de Toulouse et de sa banlieue, conçu en 1998 et 1999, n'a
jamais étudié la question des risques industriels. Quant aux infrastructures,
elles dépendent de la préfecture qui a autorisé en 1996 la construction du pont
à 4 voies menant à l'autoroute jouxtant AZF. Motif : la fluidité du trafic diminue
le temps de présence des automobilistes dans la zone de protection ! Idem pour
les extensions des usines chimiques (obtenue en 1998 pour Tolochimie et en 2000
pour AZF), décidées après "enquête publique" et avis consultatif des municipalités
par le préfet. Depuis 1989, tous les élus toulousains ont voté favorablement
aux demandes successives d'extension du site. Il est vrai que ses taxes professionnelles
et foncières rapportaient chaque année 54 millions de francs à la ville de Toulouse
et 26 millions pour le département et la région... L'antiterrorisme, renouvellement
du contrôle social
L'industrie française provoque 1200 accidents plus ou moins critiques par an sur 2000 sites à risques.
Ces "dysfonctionnements improbables" entraineraient une catastrophe internationale s'ils se produisent sur l'une des 58 centrales nucléaires du pays. Les conséquences industrielles que nous subissons sont graves : sang contaminé, vaches folles, OGM... Celles endurées dans les pays du Sud sont déjà chaotiques. La technologie des élites généralise tous les types de misère. Et leur progrés développe désormais le contrôle social des populations. Entre le plan vigipirate renforcé et la nouvelle "justice sans limites", notre avenir sera de ne pas nous tromper d'adversaires... Localement, l'expérience toulousaine nous rappelle une évidence : en temps ordinaire comme en période de crise, l'Etat, les "responsables politiques", les patrons, leurs médias et les syndicats officiels seront toujours nos ennemis. par Téka
Photos François Rivière
Sources : - La Dépêche du Midi des 22, 23, 25, 27, 28 et 29/09/01 - Libération des 22, 23 et 24/09/01 - Le Monde des 26 et 28/09/01 - Tout Toulouse des 26/09 et 3/10/01 - Le Canard Enchaîné des 26/09 et 3/10/01
Photos à l'intérieur du site pétrochimique
d'AZF de Toulouse,
24
heures aprés l'explosion.
Photos inédites de François Riviére
De Toulouse
en colére un billet d'humeur, manifestation aujourd'hui Mardi 25/09 à
18H place du capitole.
TOTAL, NOUS
NE VIENDRONS PAS CHEZ TOI PAR HASARD (chanson rebelle)