La guerre
des DROGUES

Drogues et Droits de l'Homme

Le développement de l'usage des drogues, les conséquences importantes de ce phénomène pour les individus comme pour la société conduisent à s'interroger sur la pertinence des réponses apportées. C'est en termes de Droits de l'Homme que la Ligue des Droits de l'Homme a mené sa réflexion et aboutit sur la déclaration du 22 mars 1996.

Cette déclaration commence tout d'abord par constater l'échec d'une politique répressive à l'égard des drogues, en précisant que "cette politique a un coût, que ce soit en termes de santé publique, de prévention ou de Droits de l'Homme". En terme de santé publique, il est regrettable que les faux-fuyants des pouvoirs publics aient retardé la mise en oeuvre de mesures comme l'échange de seringues et en général une meilleure prise en charge médicale. En terme de prévention, l'amalgame entre les différentes drogues et "l'application indifférenciée de la loi aux simples consommateurs, aux usagers-trafiquants (1) et aux trafiquants de profession", ont rendu peu crédibles les démarches d'information de ces pouvoirs. Enfin, "en termes de Droits de l'Homme, on a vu apparaître un véritable droit d'exception qui, au bénéfice d'une lutte injustifiée contre le trafic de drogues, porte atteinte aux libertés individuelles de chacun en oubliant qu'un toxicomane est aussi et avant tout un citoyen".

Manifestement, l'interdit n'a pas l'effet dissuasif que les pouvoirs publics attendaient : les consommateurs de stupéfiants n'ont pas diminué et le trafic est en pleine progression. "Il n'est pas très utile de vilipender la politique des Pays-Bas ou de provoquer les travaux de la commission Henrion, si, au total, les pouvoirs publics refusent de s'interroger sur la pertinence de la politique actuelle et se réfugient dans un immobilisme absolu".

Or la réalité appelle des réponses différenciées et respectueuses des libertés individuelles. "Il faut rappeler que le tort fait à soi-même ne peut-être traité de la même manière que le tort fait à autrui". La loi pénale, en criminalisant des comportements qui intéressent avant tout chaque individu, n'est aucunement le moyen adapté pour inciter à protéger sa santé. De plus, la confusion entretenue entre les différents produits ou entre la consommation, l'abus et le trafic, conduit à "un véritable arbitraire que le corps social ne peut justifier en aucune manière". Cependant, la déclaration précise que cela ne retire pas à ce dernier le droit d'intervenir, et rappelle à l'Etat son "devoir de proposer son assistance à tout individu atteint d'une quelconque pathologie et de mener une politique active de santé publique". En bref, il faut tenter de mieux faire face à la réalité "en protégeant le contrat social tout en respectant les individus", deux points essentiels développés à la fin de cette déclaration.

"Affirmer l'intervention du corps social"

La prévention, passant par "une information objective sur tous les produits sans exagérer ni minimiser les risques propres à chacun", reste au coeur de l'intervention. Cette information se doit d'éclairer "le refus de la société de rester neutre par rapport à l'usage de ces produits, même lorsqu'il n'y a pas d'atteinte à autrui". Parallèlement, l'aspect répressif "ne peut être éludé, qu'il concerne la lutte contre le trafic et la constitution de circuits financiers qui en découle ou qu'il vise les actes de délinquance au préjudice d'autrui". Et "l'incitation à la consommation, notamment en direction des mineurs, doit être très sévèrement réprimée (2)".

"Respecter la citoyenneté et les libertés"

Tout d'abord, "un usager de drogues reste et demeure un citoyen qui bénéficie de tous ses droits". Puis, constatant qu'il n'existe "aucune raison de principe ou d'efficacité pour maintenir la prohibition actuelle", l'usage privé de drogues doit être dépénalisé. De plus, "la lutte contre le trafic de drogues ne justifie pas le recours à des juridictions d'exception (comme la cour d'assise sans juré), ni le recours croissant à des procédures d'exception (perquisition de nuit, garde a vue prolongée, etc...), encore moins le recours à des mesures discriminatoires comme celle qui vise les étrangers (interdiction du territoire)". En fait, "l'interdit ne doit être maintenu que pour autant qu'il est utile" pour le cannabis, puisque "l'interdiction de vente ne répond à aucune nécessité de santé publique et favorise la constitution de circuits criminogènes", la vente peut être "réglementée sous le contrôle de l'Etat, à l'instar de l'alcool et du tabac (3)".


 

La PROHIBITION
contre-attaque

le rapport de l'académie
de sciences

Alors qu'il était maire de Paris et membre actif d'une association des maires contre la drogue, Jacques Chirac demandait en 1992 à l'Académie nationale de médecine de se pencher sur la physiopathologie du cannabis. Et quelles furent les conclusions de la prestigieuse assemblée? Jacques Chirac, en personne, nous les donne : "la toxicité du cannabis est aujourd'hui bien établie, en particulier pour le système nerveux central et sa consommation conduit inéluctablement bon nombre d'usagers vers la cocaïne ou l'héroïne."

Depuis 1992, une montagne de pétards se sont consumés. Et de nombreuses études ont été réalisées. Ainsi, le Comité national d'éthique, s'autosaisissant du problème de la toxicomanie, affirma après 4 ans de recherche que la distinction entre drogues licites et illicites ne reposait "sur aucune base scientifique cohérente". Parallèlement, nommé par Pasqua (alors ministre de l'intérieur) à la présidence d'une "commission chargée d'engager une réflexion sur le problème de la drogue et de lui présenter des propositions précises", le professeur Henrion joua jusqu'au bout son rôle d'expert ; et par neuf voix contre huit (4), la commission se prononça pour la dépénalisation de l'usage du cannabis.

Pourtant depuis 1992, des milliers de personnes, atteintes de maladies souvent très douloureuses, ont trouvé dans l'herbe de cannabis un réconfort. En novembre 1996, les habitants de la Californie et de l'Arizona se prononçaient par référendum pour la "légalisation médicale du cannabis". Petit à petit, le mur de la prohibition s'écroule ; partout en Europe, de l'Allemagne au Luxembourg, la prohibition est remise en question. Un débat sur la place du cannabis dans notre société semble s'être ouvert.

Mais en 1997, alors que symboliquement la légalisation est acquise, le pouvoir, lequel a décidé pour des raisons obscures de camper sur des positions obsolètes, se devait d'avancer des arguments scientifiques démontrant les dangers sanitaires du cannabis. C'est chose faite si on en croit François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche (5). En effet, l'académie des sciences, se substituant à l'académie nationale de médecine, au bout d'un an de travail et à quelques semaines du plan triennal de Juppé, donne son avis : "Le cannabis est sanitairement inacceptable".
Diminution du débit sanguin, altération du métabolisme du glucose, effets immunosuppresseurs et cancérigènes... L'académie des sciences s'est apparemment contentée de collecter des rapports d'expérience, sans doute ceux rédigés par Nahas et consorts, les mêmes références (plus de cent se félicite François d'Aubert) que celles du fameux rapport de 1992, qui a donné naissance à la terrible brochure "Cannabis danger" publiée par la mairie de Paris et diffusée un peu partout en France (notamment dans les centres de documentation pour la jeunesse).

Sur le front des supers dangers, de "nouvelles espèces, dites cannabis rouge" feraient un tabac. En effet, raisonne François d'Aubert : si le cannabis à 3 % de THC utilisé généralement creuse la tombe du fumeur, le tout nouveau à 20 % l'enterre. Alors que rien ne prouve aujourd'hui que plus le taux en THC est élevé, plus le cannabis est dangereux pour la santé. Et ce que vous répondront les amateurs de chanvre indien, c'est qu'avec une herbe de qualité supérieure, on a plutôt tendance à diminuer sa consommation !
Autre nouveauté, cette fois sur le front de la théorie de l'escalade, les jeunes qui s'adonnent au cannabis souvent l'associent au tabac et à l'alcool, qui sont des drogues dures.

Ce rapport de l'Académie des Sciences, pur hasard, nous assure François d'Aubert, vient pourtant à point. Il va servir, une fois de plus, à justifier une prohibition qui coûte cher et déstabilise chaque jour de nombreux individus jusqu'à détruire leur propre vie. Il va aussi servir à justifier la chasse que mène aujourd'hui le pouvoir contre les publications et les associations qui incitent au débat en tenant un discours différent du discours officiel (et non, comme on voudrait le faire croire, à l'usage du cannabis).


 

Le retour
du PETARD

Le Luxembourg, la France
et le CIRC

Il faut avoir lu la confidentielle "Lettre de Maintenant" parue au mois d'octobre pour être au courant. Le comble, c'est que le vote du parlement luxembourgeois date du mois de juin dernier. "Le Soir" de Bruxelles, dans son édition du 21 juin est le seul quotidien a notre connaissance ayant osé annoncer la nouvelle. L'AFP n'a même pas daigné faire la moindre dépêche pour un vote qui pourrait être qualifié d'historique au Luxembourg. Vote d'autant plus surprenant que le projet était une initiative des Verts, qui furent les premiers étonnés que ce texte soit approuvé par le ministre de la justice. Car il n'est ni plus ni moins proposé la libéralisation du cannabis et de ses dérivés, ainsi que la distribution contrôlée des opiacés et de la cocaïne; le parlement ainsi que le gouvernement conservateur se déclaraient prêts à reconsidérer leur politique à l'égard du cannabis.

On comprend mieux pourquoi une telle information, tout ce qu'il y a de plus officielle, mérite d'être tenue secrète : ce vote démontre que les propositions des anti-prohibitionnistes et des associations telles que le CIRC peuvent être réalistes et concrètes. En France, cette nouvelle est tellement contraire au mensonge institutionnalisé qu'il ne s'agirait pas qu'elle s'ébruite et sème la contagion dans une population cannabinophile un peu trop tétanisée par la politique actuelle, et ne provoque de nouveaux débats sur la légalisation avec des arguments d'autant plus forts que le quarteron de prohibitionnistes européens s'effrite de plus en plus.

L'été dernier, Chirac demandait l'harmonisation des lois européennes, ce qui voulait dire dans son esprit, l'uniformisation dans le sens le plus répressif, c'est à dire en finir avec la politique tolérante de la Hollande. La volonté française aura d'autant plus de mal à s'imposer que le vote luxembourgeois peut donner des idées a d'autres pays. Ainsi, la volonté politique de la majorité des pays européens ne serait plus d'axer sa politique en matière de drogue sur une répression aveugle ; même s'il n'est pas réellement question de remettre en cause le principe de la prohibition qui aurait pour conséquence d'exciter inutilement l'oncle Sam, gardien du dogme.

Il serait temps que la France réalise la nouvelle donne européenne et se souvienne que les rapports Henrion et du comité national d'éthique ne sont pas encore recouverts par la poussière dans le tiroir à oubli. Il serait temps aussi qu'elle s'arrête de s'acharner sur les associations et les individus. Car, côté CIRC par exemple, le bilan est lourd.

Le 30 janvier 97, Fabienne Lopez (CIRC Ile-de-France) et Jean-Pierre Galland (fédération des CIRC) ont été condamnés respectivement à 7000 et 30000 francs d'amende pour l'organisation d'une manifestation interdite le "18 joints" 95. Récemment, suite à une fête du CIRC Lyon, les flics ont investi leur local et embarqués des membres de l'association. En Alsace-Lorraine, le préfet a même interdit au CIRC d'exister. Il l'a fait une première fois le 2 août 96 parce que l'alinéa de l'article 2 des statuts de l'association avait pour but "d'informer objectivement les utilisateurs ou futurs utilisateurs afin d'éviter tout abus". Or la loi considère que l'abus débute dès lors que l'on tire sur un joint. Suite à cet échec, le CIRC Alsace-Lorraine déposa le 31 octobre de nouveaux statuts, calqués cette fois-ci sur ceux des autres CIRC. Peu importe ; suspectant l'association "essentiellement composée d'usagers" de vouloir présenter le haschich ou le cannabis comme des "drogues susceptibles d'être consommées sans danger", le préfet refusa à nouveau le 20 décembre de l'inscrire au registre des associations.

Hier censuré, le CIRC sera-t-il demain interdit en France ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AINSI S'ACHEVE CETTE TRILOGIE,

réalisée avec le joyeux CIRC Midi-Pyrénée,

et la participation involontaire de Jean-Pierre Galland

et des autres CIRC. Toute cette histoire n'est hélas pas une fiction

et toute ressemblance avec des personnages existants dans la réalité

n'est pas une coïncidence.

 

Yves M.

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P'tites notes :

(1) le terme "usagers-partageurs" proposé par l'avocat Francis Caballero est mieux approprié à la réalité
(et moins proche du vocabulaire juridique froid et gén raliste) Retour

(2) Il serait intéressant de redéfinir où commence l'incitation. De plus, l'histoire nous montre que tout excès répressif peut nuire à l'information et à la prévention, surtout dans un fragile processus de dépénalisation des drogues. Le CIRC propose que la publicité soit interdite, ainsi que la vente aux mineurs de moins de 16 ans. Retour

(3) Dans ce système, les taxes ne doivent pas être trop élevées, afin d'éviter la résurgence de circuits mafieux. Retour

(4) Parmi les 8 voix opposées à la dépénalisation, celles de Michel Bouchet et Gilles Leclaire (respectivement patron de la brigade des stupéfiants et chef de l'office central de la répression du trafic illicite de stupéfiants) ne devraient pas compter. Retour

(5) François d'Aubert, auteur d'un rapport sur le blanchiment de l'argent sale, ne sait-il donc pas que la seule manière de lutter contre le pouvoir économique de la mafia, c'est de légaliser les drogues? Retour