WELCOME TO EUROLAND

Les capitaux internationaux réclament une stabilité que chaque monnaie nationale prise isolément, soumise à de nombreux aléas (spéculation, risque politique) ne peut pas leur offrir. L'administration européenne a donc été chargée de la gestion de l'intégration européenne en fournissant notamment une monnaie adéquate : c'est l'euro.

Contrairement à ce qu'on nous fait croire, la monnaie unique n'a pas été mise en place pour être agréable aux touristes ou aux commerçants intra-communautaires et encore moins pour permettre aux Etats de retrouver de manière large et coopérative une souveraineté qu'ils avaient été contraints d'abandonner sur le plan national. D'ailleurs, le supposé modèle social européen bat de l'aile : les dernières négociations sur l'Agenda 2000 montrent que les pays riches (notamment l'Allemagne) veulent diminuer leur contribution aux fonds structurels qui permettaient une (faible) redistribution entre les pays européens. L'euro prépare simplement le terrain pour de nouveaux reculs sociaux grâce auxquels les capitalistes européens occuperont peut-être un jour le devant de la scène économique mondiale. Pour plus de croissance et plus d'emploi...

LA B.C.E : LA REALITE DU POUVOIR EN EUROPE

Issue du Traité de Maastricht, la Banque Centrale Européenne est l'institution financière auprès de laquelle les banques centrales indépendantes nationales vont chercher les liquidités dont elles ont besoin pour financer leurs Etats nationaux et leurs banques nationales. C'est elle qui concentre le pouvoir d'émettre les euros et donc de déterminer le taux d'intérêt auquel elle prête de l'argent aux banques centrales nationales qui le répercutent sur leurs clients. Un seul objectif lui est assigné : la lutte contre l'inflation (hausse des prix). A première vue, cet objectif paraît vide de sens parce que l'inflation a disparu voilà bientôt 15 ans et que l'économie mondiale tend plutôt vers la déflation. En réalité, cet objectif est un euphémisme qui signifie qu'elle doit mener une politique structurelle de sécurisation du capital en garantissant les patrimoines en argent contre la dépréciation. Pour ce faire, elle est, de manière constitutionnelle, tenue de fixer les taux d'intérêt à un niveau toujours supérieur à la croissance des prix. Les règles de nomination à la tête de la BCE marquent l'indépendance de l'institution vis à vis des gouvernements de manière à supprimer tout risque d'intervention politique dans la gestion de la monnaie. Elles consistent dans la cooptation entre gens de bonne compagnie. Wim Duisenberg ex-gouverneur de la Banque centrale néerlandaise et nouveau gouverneur de la BCE a été choisi par l'amicale des gouverneurs des BC européennes elles-mêmes indépendantes au moins depuis 1993. Parmi les 6 membres du directoire de la banque, 5 sont des adeptes de la théorie monétariste de Milton Friedman, maître à penser du néo-libéralisme américain qui considère que la gestion monétaire est la seule intervention acceptable du &laqno;politique» dans l'économie. Les 11 autres membres décisionnels de la BCE sont les gouverneurs des banques centrales nationales. Parmi ce &laqno;conseil» figure JC Trichet, ancien du PSU et de la CFDT de l'ENA, ancien conseiller économique des gouvernements socialistes français, ancien chef de cabinet de Balladur et gouverneur de la banque de France depuis 1993. Ce joyeux personnage est appelé à prendre la relève de Duisenberg à la tête de la BCE on ne sait pas trop quand. Les débats au sein de la BCE sont confidentiels, à moins que les directeurs et le conseil statuant à l'unanimité, n'en autorisent la publicité. Ces super fonctionnaires n'ont de compte à rendre à aucun gouvernement, en revanche, ils peuvent leur donner des conseils de bonne gouvernance.

L'AJUSTEMENT STRUCTUREL A LA MODE EUROPEENNE

De conseils, les Etats en ont besoin parce qu'ils ne savent pas gérer leurs affaires. La plupart des Etats européens font des déficits budgétaires, c'est-à-dire qu'ils n'arrivent pas à équilibrer les recettes et les dépenses. Pour financer les déficits ils empruntent. Mais là où ça se corse, c'est que les taux d'intérêts auxquels ils empruntent, désormais auprès de la BCE, sont supérieurs aux taux de croissance de leurs recettes fiscales. Donc, les intérêts supplémentaires à verser chaque année sont payés grâce à de nouveaux emprunts qui augmentent les dettes et donc les intérêts à verser, une partie croissante des emprunts actuels servant à payer les intérêts des emprunts passés. Il faut dire que les intérêts de la dette publique sont déjà énormes : ils représentent, pour la France, la 2ème dépense civile de l'Etat après l'Education Nationale.

Faute d'une réduction conséquente des taux d'intérêts, deux possibilités s'offrent aux Etats européens : augmenter les impôts ou réduire les dépenses publiques. La première voie n'est pas évidente. Les gouvernements ont décrété la libre circulation des capitaux en se gardant bien d'adopter une politique commune de taxation. L'évasion fiscale étant légalisée, on ne voit pas comment chaque Etat pris isolément pourrait imposer le capital au-delà des taux actuellement en vigueur, et puis une réforme européenne immédiate de la fiscalité mettrait quelques années à être effective.

En ce qui concerne les hauts revenus, le problème est le même. Il reste les impôts sur la consommation, leur augmentation produirait des effets immédiats mais la France est déjà champion d'Europe en la matière. A court terme, la seule voie réside dans la réduction du périmètre des Etats dans l'économie. C'est-à-dire : dans les privatisations (cf France Télécom, Aérospatiale, Crédit Lyonnais) et surtout dans la &laqno;maîtrise» des dépenses. En décembre 1998, Strauss-Khan a présenté au Conseil Européen les grandes lignes du programme français de stabilité pour les années 1999 à 2002. Son objectif est de ramener le déficit public à 0,8% en 2002 dans l'hypothèse de croissance économique la plus favorable. Au cours de cette période, les dépenses de l'Etat devraient connaître une progression moyenne de 0,33% par an. C'est-à-dire que l'essentiel du surcroît de recettes généré par la croissance économique et les privatisations devrait servir à rembourser la dette publique. Dans le détail : les dépenses sociales devraient augmenter de 1,5% par an et la progression des dépenses de santé qui s'élevait à 1,4% en 1998, devrait être ramenée à moins de 1% en 2002. Avec une progression des dépenses nettement inférieure à la croissance de la richesse nationale, les inégalités sociales devraient s'accroître et la fameuse Couverture Maladie Universelle pourrait ne jamais voir le jour.

L'INTERDICTION DE LA RELANCE

Tous ces efforts ne suffisent pas à la BCE. Pour Duisenberg, &laqno;c'est trop peu pour une période de croissance économique relativement forte...». &laqno; Si les pays participants à l'euro n'en font pas suffisamment en la matière, nous devrons compenser avec la politique monétaire. En d'autres termes, les taux d'intérêts seront fixés au-dessus du nécessaire, et il y aura moins d'espace dans le système euro pour mener la politique anticyclique que souhaitent tant les politiciens». Le mot est lâché, la surveillance pointilleuse des politiques économiques nationales par la BCE vise aussi à éviter qu'une quelconque relance économique par le pouvoir d'achat, concertée à l'échelle européenne, ne puisse avoir lieu, du fait même de la lourdeur des taux d'intérêt auxquels les Etats devraient emprunter pour financer cette relance.

Mais cette relance paraissait bien improbable : les gouvernements d'Europe, devançant la BCE, s'étaient interdit cette politique par le pacte de stabilité. Le pacte est une résolution adoptée en 1997 par l'ensemble des pays membres de l'euro, qui vise à s'assurer pour l'après-euro que les gouvernements respectent les critères de convergence du traité de Maastricht qu'ils se sont imposés pour le passage à l'euro. Ce pacte comprend un réglement sur la &laqno;surveillance budgétaire» et un réglement sur &laqno;la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs». Le non respect du pacte entraîne des procédures de rappel à l'ordre et l'application de sanctions financières : il est prévu que l'Etat qui présente un déficit budgétaire supérieur à 3% de son Produit Intérieur Brut (PIB) verse une caution de 0,5% de son PIB (soit pour la France, une amende d'environ 35 milliards de F., équivalant les dépenses du Revenu Minimum d'Insertion).

UNE SOLUTION : LA COMPETITION...

Avec l'abandon consenti de leur souveraineté monétaire et budgétaire, les Etats ne peuvent pas compenser la faiblesse de la demande intérieure, pourtant désormais reconnue par tous les économistes, y compris ceux de droite, par une injection d'argent dans l'économie. Ils ne peuvent pas non plus compter sur une solidarité européenne puisque l'Europe se construit sur la base de l'égoïsme national. Théo Waignel, ex-ministre allemand des Finances avait le mérite de la franchise lorsqu'il disait : &laqno;l'union monétaire ne sera pas une union des transferts financiers». Comme par le passé, la seule possiblité de croissance économique ou d'évitement de la récession consiste à ravir aux voisins les marchés et les capitaux.

Dans la course à la compétitivité des produits et à l'attractivité des nations pour les investissements, la manipulation des coûts salariaux (la fixation du SMIC et des cotisations sociales) et fiscaux demeurent les seuls éléments sur lesquels les Etats gardent une prise. Mario Monti, commissaire chargé du marché intérieur et de la fiscalité exprime merveilleusement cette idée géniale : &laqno;appliquer le marché unique, c'est laisser pénétrer en profondeur dans la structure économique de son propre pays les principes d'ouverture et de concurrence et acquérir ainsi cette fameuse flexibilité qui est une condition nécessaire pour la création d 'emploi». Et il est vrai qu'un pays ouvert, avec une main d'oeuvre flexible et concurrentielle est attrayant pour les capitaux, encore plus si la stabilité monétaire garantit la valeur des investissements sur le long terme.

Cette bonne gouvernance, l'Etat français l'a mise en oeuvre dès 1984. Les ministres français de l'économie Bérégovoy, Balladur, Arthuis et Strauss-Khan ont tous conjugué le franc fort, arrimé au Deutsche Mark, et le dumping social (baisse des cotisations sociales sur les bas salaires, subventions aux patrons pour les contrats de qualif et les CIE, baisse tendancielle de l'impôt sur les bénéfices des entreprises, baisse de la taxe professionnelle et surtout, chômage au dessus de la moyenne européenne, faisant taire les revendications). Cette politique a très bien réussi à la France qui est devenue le paradis des capitaux américains, belges, japonais et allemands et qui dégage des excédents commerciaux en hausse ininterrompue depuis 1993 avec le succés social que l'on sait.

...ET LA REGRESSION SOCIALE

Alors même que le chômage et la misère touchent officiellement 18 millions de personnes en Europe, les seules résolutions du Conseil Européen sur ce chapitre sont la nécessité de &laqno;réformes structurelles pour améliorer la capacité d'adaptation des marchés du travail». Les lignes directrices de la coordination européenne pour l'emploi sont évocatrices : il s'agit de faire évoluer les systèmes de formation dans la perspective de l'employabilité des jeunes (rapport Attali ou plan &laqno;Université du 3ème Millénaire»), de réviser les systèmes d'indemnisation du chômage pour &laqno;inciter les chômeurs à accepter un emploi ou une formation», de &laqno;développer l'esprit d'entreprise par l'abaissement des charges sociales et fiscales des indépendants» et de renforcer l'égalité des chances entre hommes et femmes sur le marché du travail &laqno;en favorisant la négociation sur le congé parental et le travail à temps partiel» (sic). Car il est entendu que &laqno;les rigidités des marchés de l'emploi et des coûts de production trop élevés ont constitué des obstacles à la création d'emplois».

Mais pour l'instant, et malgré toute la bonne volonté sociale du gouvernement français, la poursuite du processus de réduction des charges sociales et des impôts sur le capital est compromise par le déficit du budget de l'Etat. En effet, pendant toutes ces années de cadeaux au patronat, la baisse du taux de salaire a été en partie socialisée, par le budget de l'Etat qui a pris en charge les dépenses sociales que la Sécu ou des Assedics ne peuvent plus assurer, faute de cotisants.

Il semble désormais qu'il faille s'attaquer à ce dernier &laqno;obstacle structurel». La boucle est bouclée. Et lorsque les gouvernements ou les patronats nationaux ne se montrent pas à la hauteur des enjeux de la compétitivité, la Banque Centrale Européenne les supplie : la victoire des métallurgistes allemands (4% d'augmentation de salaire) a été accueillie par des cris d'effroi de la Banque indépendante qui, comme pour les punir de leur audace, a décidé, contre toute attente, de maintenir à leur niveau les taux d'intérêts européens qui sont les plus élevés du monde, histoire de tranquilliser les rentiers sur leur participation aux fruits de la croissance

 

YOURI

Sommaire N24