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Ah Haider, si ta mere avait connu l'avortement libre et gratuit...

L'avortement, pudiquement rebaptisé Interruption Volontaire de Grossesse, désigné dans la pratique par l'expéditif &laqno;IVG», n'est pas un acte libre en France, malgré les deux lois de 1975 et 1979 qui l'autorisent. Ce n'est pas non plus un acte médical pur et simple. Médico-socio-légal, l'amalgame se trimballe une bonne dose de relents moralistes bien poisseux.

L'avortement jouit en France d'un statut bancal qui perpétue le poids d'un ordre moral toujours vigoureux. Il relevait auparavant directement du droit pénal. C'est en 1920, après les tueries de la Première Guerre Mondiale, que le natalisme s'officialise comme politique d'Etat, avec une loi interdisant toute propagande anti-conceptionnelle, et envoyant en Cour d'Assises le crime d'avortement. Comme les jurys populaires se montrent trop favorables aux avortées et avorteuses, une loi de 1923 transfère le traitement de l'avortement en Correctionnelle. En 1939, le Code de la Famille instaure un véritable plan d'attaque contre les &laqno;faiseuses d'anges», punissant aussi toute tentative d'avortement ; il prépare le terrain à la loi de 1942 qui fait de l'avortement un crime d'Etat. Une avorteuse est guillotinée en 1943. Dans l'après-guerre, la répression n'est pas remise en cause. Même si elle s'exerce peu à peu avec moins de rigueur, il y aura des procès contre des avortées jusqu'à la loi Veil de 1975, complétée en 1979. Jusqu'à ce moment-là, le Mouvement pour le Planning Familial, né en 1960 et promoteur de la liberté de contraception et d'avortement, était resté hors-la-loi.

Aujourd'hui, la loi de 1920 n'a pas été abrogée, et l'avortement reste un acte médico-légal, donc partiellement entravé. Peu d'hôpitaux pratiquent l'IVG, et il faut encore bien chercher dans un recoin caché et vaguement cradingue ce service plus &laqno;social» qu'hospitalier, lieu un peu honteux qui s'érige aussi en centre d'&laqno;éducation familiale» pour les mauvaises mères. Et si tu faillis à ton naturel devoir de procréation, il va falloir en chier. D'abord, l'entretien obligatoire avec un &laqno;conseiller conjugal» implique de justifier ta décision, d'expliquer ton problème - parce que forcément t'en as un - avec en douce pas mal de rappels que bon, on peut poursuivre la grossesse. L'avortement a attendu 1982 pour être remboursé par la Sécu, et si t'as pas la Sécu, il faut faire rapidos une demande de prise en charge et subir une &laqno;enquête légère»! Sinon, il en va de 1300 à 2000 balles de ta poche. Selon la loi, l'avortement n'est autorisé qu'en cas de détresse : obligation de malheur donc pour pouvoir avorter. Une heureuse n'avorte pas. Elle pond.

Le guide donné en prime insiste lourdement : en guise d'infos sur l'IVG, la moitié du fascicule est consacrée à la poursuite de la grossesse, avec le détail des sous à gagner avec la CAF, genre on a tout à gagner à faire des bébés, et pour finir, la solution promo du mois, l'accouchement sous X... charmant.

La faible place accordée dans les hôpitaux au service IVG, et le petit nombre de praticiens, rendent souvent les délais d'intervention bien longs... fâcheux dans un pays où le délai maximal pour avorter est de 10 semaines (beaucoup plus bref qu'en Grande-Bretagne ou en Hollande). L'IVG reste un savoir marginal, qu'on néglige d'enseigner dans les facs de médecine. Les médecins qui le pratiquent sont souvent des généralistes, faute de gynécologues disponibles. La clause de conscience peut être invoquée par tout médecin s'opposant à l'IVG. La loi du 17 janvier 1975 semble même donner raison aux anti-IVG, son article premier déclare : &laqno; La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité.» Il y est même souligné la &laqno;gravité biologique» de l'intervention sollicitée, histoire de faire flipper les hésitantes (le texte de la loi figure en première page du guide). Les héritiers des faiseuses d'anges apparaissent donc comme des militants sentant le soufre - encore qu'ils versent largement dans le social bien-pensant.

Dans la série des entraves à la liberté d'avorter, les mineures doivent franchir une barrière supplémentaire : l'autorisation parentale, pour faciliter les choses... Si t'es étrangère, il faut fournir un titre de séjour, et résider en France depuis 3 mois minimum (contre un ou deux jours en Hollande et en Grande-Bretagne) ; or, l'IVG s'effectue au plus tard à deux mois et demi de grossesse, donc moralité du calendrier : tu n'avortes en France que si t'es tombée en cloques en France. Et si t'es mineure et étrangère, ou pire sans-papiers, tu cumules les handicaps.

Sans cesse renvoyée à sa culpabilité, celle qui avorte est dessaisie de sa liberté de décision puisque l'institution la somme de justifier ses &laqno;défaillances» et l'exhorte même à la pénitence : pas d'alcool, pas de cannabis avant l'avortement alors que médicalement, il n'y a aucune raison de s'en priver (sauf en cas d'anesthésie générale). Le tout saupoudré de morale à deux balles qu'on croirait adressée à des mômes de 12 ans assistant à leur premier cours d'éducation sexuelle. Surtout qu'au final, t'as droit au forcing pro-pillule (pas remboursée), comme si ça allait de soi. Bien sûr, le stérilet est proscrit avant toute maternité (la France est le seul pays à pratiquer cette restriction). On en ressort avec le vague sentiment de ne pas être tout à fait normale, et surtout une franche colère. Ce sont finalement toutes les autorités qui se rassemblent pour imposer aux femmes le devoir de reproduction : l'Etat (toujours nataliste, par crainte du vieillissement, ou peut-être de peur de n'avoir un jour plus personne à gouverner, c'est qu'il en va de la survie de la Nation, té pardi), les religions (toutes), et les principes moraux qu'elles induisent.

Patricia
Sources : Communication du collectif
&laqno;En avant toutes» aux Assises Nationales
pour les Droits de la Femme, mars 1997.
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