VACHES FOLLES : abattons le troupeau
Nombreux-ses sont ceux qui dénoncent l'augmentation de la violence dans nos sociétés.
Mais bien peu réagissent face à la multiplication des agressions policières. Victimes innocentes des flics, Françoise et Eric de Toulouse ripostent en brisant la loi du silence judiciaire. Interview.
InfoSuds : Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui vous est arrivé ?
Françoise : Pour nous c'est très dur de parler de ça, parce que ça a été très traumatisant.
On a subi une arrestation de la police. On rentrait de chez des amies, où on avait un petit peu bu, sans plus comme tout le monde. Eric, qui était en dépression à l'époque, prenait des antidépresseurs et s'est trouvé mal.
C'était le lendemain de l'éclipse, dans la nuit du 11 au 12 août 1999. On était dans un quartier où il n'y avait personne, aux Minimes. J'ai essayé de porter secours à Eric qui s'était évanoui puis j'ai entendu un véhicule, c'était un fourgon de police. Il y avait 4 flics de la police nationale qui sont descendus. Ils sont arrivés comme dans les films américains, à toute vitesse, ils nous ont sauté dessus. Eric était par terre , ils nous ont menottés. Ils m'ont bousculée, sans explications. Une première fois, j'ai commencé à dire : "Pourquoi vous nous avez mis les menottes, il (Eric) a besoin de soins !". Il y a un policier qui m'a répondu qu'on verrait ça au commissariat. Et tout de suite, ils ont traîné Eric dans le fourgon de police. J'ai vu tout de suite qu'ils étaient énervés.
On est partis au commissariat central, juste à côté. Le fourgon s'est garé après le pont des Minimes à l'arrêt de bus. Et il a fait demi-tour pour nous ramener au commissariat central au bord du canal. Arrivés là, ils m'ont fait descendre en premier. J'étais toujours menottée et entourée des 4 policiers, et je les ai vu amener Eric qui était encore inconscient, ils l'ont posé par terre dans le commissariat, menotté aussi. Et à ce moment là, il y avait un policier qui était à côté de lui et qui commençait à lui donner des coups de pieds, gratuitement. Il avait des hématomes qui ont été constatés le lendemain sur l'oreille, j'ai vu les coups de pied au visage. J'ai pété les plombs et j'ai commencé à gueuler. Je leur ai répété qu'il avait besoin d'aide depuis le départ.
Ils nous ont pas demandé nos noms, ni rien d'ailleurs, parce que tout a été très vite en fait ! A partir du moment où j'ai commencé à crier pour Eric, il y avait 3 policiers devant moi et un sur la droite. Je ne les regardais pas mais c'est comme un accident de voiture et après on mémorise les images. J'ai vu un policier qui n'était pas dans mon champ de vision , et j'ai perçu qu'il mettait quelque chose dans sa main et il m'a dit : " on va te calmer aussi " et j'ai reçu un premier coup de poing. Je suis retombée à la renverse, par terre. J'étais toujours menottée. J'avais beaucoup de mal à me relever, je l'ai fait quand même. Je voyais les autres policiers qui me regardaient dont une femme qui était là. Je me suis dit qu'il allait se passer quelque chose. C'est pas possible, ils vont intervenir. Mais non, personne n'a bougé et l'autre à continuer de se défouler sur moi. Il m'a mis un deuxième coup de poing. Retombée par terre, je me suis relevée. Je sentais pas la douleur malgré une dent arrachée, une cassée et une autre fêlée. Il y a eu un silence, une espèce de black out, c'était la confusion totale. Eux-mêmes se sont trouvés dépassés par les événements. Ils nous ont fait aucun alcootest, Ils m'ont mise en cellule la tête en sang toujours menottée et ils ont traîné Eric dans une autre cellule.
Les autres policiers ne sont jamais intervenus pour te secourir ?
Non, le flic s'est arrêté de lui même. J'étais choquée par cet homme qui me tabassait et par ces policiers qui ne sont intervenus à aucun moment. Je me rappelle avoir regardé cette femme policière et elle a détourné le regard.
Vous êtes restés combien de temps en cellule ?
Toute la nuit jusqu'au lendemain matin 8h. Un médecin est venu me voir en cellule. Il m'a dit : " Je suis le médecin, je suis là pour constater, ouvrez la bouche ". Il a ajouté : " Je constate ", et il est reparti. Mais moi j'ai attendu qu'il revienne, j'avait du sang plein la bouche, j'avais mal, et il n'est pas revenu. Je n'ai reçu aucun soin, et j'avais même pas une bouteille d'eau. J'ai tapé sur la porte et j'ai crié : "J'ai mal, je veux de l'eau !". Personne n'est venu. C'était un cauchemar et je n'ai pas dormi une seule minute.
Eric : J'étais dans une autre cellule sans aucun contact avec Françoise. Je me suis réveillé à un moment et je me rappelle avoir hurlé quand j'ai vu quelqu'un me regarder par le hublot de la porte. Je me suis réveillé le matin sans aucun soin.
F : Au matin, ils sont venus me chercher pour me demander mon identité, enfin ! Ils m'ont demandé aussi de signer un papier pour récupérer nos objets personnels. Ils m'ont tout rendu, mais pas pour Eric.
E : Ils m'ont pris un bracelet et une bague en argent. En me demandant : "Vous accusez la police de vol ?". Et j'ai dû rentrer avant Françoise.
F : Ils m'ont alors tendu un autre papier en me disant : "Vous le signez aussi". Il fallait que je reconnaisse que j'étais en état d'ivresse, j'ai dit : &laqno;Non, je refuse de signer ce papier". Ils m'ont alors envoyé au bureau du commissaire, qui était en train de fumer un cigare et qui m'a dit d'emblée, sans que je lui explique quoi que ce soit : "Je n'étais pas là cette nuit, je n'y suis pour rien, je viens d'arriver". Je lui ai répondu que j'avais les dents cassées et que j'allais porter plainte pour violence. Il a rétorqué que j'avais le droit de le faire.
Vous avez entamé les démarches directement ?
F : J'ai appelé un médecin d'urgence pour mieux constater les faits, dans les heures qui suivent et non pas 12h après. Elle a refusé de le faire, elle ne pouvait pas le faire Ca a été constaté une journée plus tard. On a appelé ensuite l'avocat qui nous a dit d'aller au service médico-légal. C'est le seul service médical dont les constatations sont reconnues par la justice et peuvent constituer une preuve. Ce service n'est ouvert que le matin jusqu'à 11h à l'hôpital Rangueil de Toulouse. Mais j'ai été par la suite obligée de refaire le constat 3 fois à cause des erreurs qu'ils inscrivaient et je n'ai eu aucune Interruption Temporaire de Travail (I.T.T). Notre avocat a dit que c'était absolument lamentable.
Est-ce que vous avez pu porter plainte ?
F : Ce genre de plainte passe directement au Parquet, qui peut juger une plainte irrecevable, et le seul recours reste la Cour Européenne de Justice. Notre plainte a été admise grâce à la rapide couverture médiatique de cette affaire. Le 1er a été Charlie Hebdo puis l'Evénement Du Jeudi, Libération et enfin La Dépêche du Midi. Ainsi que Radio Galère de Marseille et Canal Sud de Toulouse.
Combien de versions la police à donné dans les journaux ?
F : A Charlie Hebdo, la police a dit que je serais rentrée dans le commissariat en état de démence. A ce moment là, je serais tombée par terre en me cassant les dents.
E : A Libération, ils affirment qu'on aurait été arrêté Place du Capitole au lieu de l'Avenue Honoré Serre, On ne se serait pas laissé faire, ils auraient été obligés de nous menotter, donc on aurait crisé et s'en seraient suivis les coups.
La procédure sera-t-elle longue ?
F : Oui, 2 ans pour le jugement en Correctionnelle, plus 2 ans si on fait appel. Sans compter si on va jusqu'à la Cour de Justice Européenne.
Je tiens à dire qu'on ferme les yeux depuis trop d'années et qu'il y a plein de gens qui se font passer à tabac, du délinquant au simple passant. On a su par Amnesty International que la France est le 2ème pays a être mis à l'index sur les violences policières. Donc il est temps qu'on se réveille. J'en veux beaucoup au flic qui m'a frappée, j'en veux aussi à ses collègues qui ont regardé sans intervenir, mais j'en veux surtout aux supérieurs qui emploient des gens violents et qui acceptent de les couvrir, car ce sont eux les responsables.
Extraits de l'émission InfoSuds
sur les antennes de Canal Sud
92.2 MHZ du 29/09/99.
Retranscrit par Léna.