SI TU VAS PAS A LAGARDERE
Lagardère ira à toi
L'année 1999 restera dans l'histoire de l'industrie française de l'armement comme l'année des grandes manuvres et de l'imbrication avec les industries civiles.
Après le rapprochement discret de Thomson CSF (ex entreprise nationale) du groupe Alcatel (ex Compagnie Générale d'Electricité, elle même privatisée en 1987), l'Aérospatiale est privatisée et fusionne avec Matra en juin. En octobre, les deux précédentes fusionnent avec la première entreprise Allemande d'armement DaimlerChrysler Aerospace (DASA) qui a récemment absorbé l'espagnol CASA. Ces opérations sont l'aboutissement de décisions prises lors du sommet européen de défense du 9 décembre 1997 au cours duquel les chefs d'Etat britanniques, allemand et français avaient exprimé le vu d'un regroupement des industries européennes de défense en vue de créer une société européenne. Dans l'avenir, Aérospatiale-Matra-Dassault-DASA-CASA devraient être fondues dans un conglomérat transnational comprenant British Aérospace (Anglais), et Alenia (Italien), entreprises avec lesquelles des partenariats sont déjà en vigueur tant pour les programmes civils (Airbus) que militaires (hélicoptères, missiles..).
Si ce type d'industrie non seulement parasitaire mais aussi nuisible mérite surtout d'être condamné, il n'en demeure pas moins utile d'en étudier de manière approfondie l'économie et la logique de fonctionnement. C'est ce que nous avons tenté de faire dans ce dossier qui révèle la logique politique de la reproduction de nos capitaines d'industrie et la manière dont se constituent les grandes fortunes sur l'argent de nos impôts. Pour ce qui concerne le volet français de ces grandes manuvres, la privatisation d'Aérospatiale et les fusions consécutives ne doivent pas être comprises comme un»désengagement» de l'Etat tant le principe constitutionnel de notre capitalisme &laqno;tous les profits au privé et toutes les pertes au public» est respecté. Ces opérations de haut vol sont aussi l'occasion d'enterrer quelques illusions sur le caractère démocratique de notre société. D'autant plus que pour défendre ses intérêts, le complexe militaro-industriel affirme sa stratégie dans la presse et l'édition où les manipulations vont bon train.
Une très bonne affaire
Dans les termes du décret de privatisation d'Aérospatiale, le rapprochement d'Aérospatiale et de Matra devait être entrepris par échange d'actions : Lagardère SCA (Société en Commandite par Action), détenteur du capital de Matra et l'Etat, qui possédait 100% du capital d'Aérospatiale devaient échanger la totalité des actions de leurs entreprises respectives contre les actions d' un nouveau groupe : Aérospatiale-Matra.
Mais la fusion d'Aérospatiale et de Matra n'était pas qu' un arrangement économique, elle résultait d'un accord entre l'Etat et Lagardère formalisé par un &laqno;pacte d'actionnaire» qui prévoyait avant toute évaluation que Lagardère disposerait d'emblée de 31,45% du capital du groupe Aérospatiale-Matra. En signant ce pacte, l'Etat considérait donc, sans évaluation, que Matra valait 31,45% de la nouvelle entité.
Avant la fusion, la valeur du groupe Matra Hautes Technologie se montait à 10 milliards de francs en hypothèse moyenne (selon les estimations de La Tribune). Si on considérait que ces 10 milliards valaient 31,45% de l'ensemble, alors on pouvait en déduire que la valeur globale d'Aérospatiale-Dassault-Matra se montait à 32 Milliards de francs.
Mais l'échange d'action ne fut pas la seule voie de la privatisation d'Aérospatiale. L'Etat a mis en vente en bourse 17% du capital d'Aérospatiale Matra qui est dès lors devenue un valeur boursière. Or, si l'on retient comme base de calcul de la valeur d'Aérospatiale-Matra, le prix auquel ses actions ont été vendues en bourse, on l'estime à 52 milliards de francs, soit 20 milliards de plus que la première base...
C'est à dire que suivant que l'action ait été concédée à Lagardère par échange avec des actions Matra, ou vendue en bourse, son prix a varié de 38%.
Pour Lagardère, cela signifie que si ce dernier avait dû vendre en bourse la totalité de Matra Haute Technologie puis racheter dans les conditions du marché les parts d'Aérospatiale-Matra dont il dispose actuellement, il aurait dû payer ses actions 38% plus cher. On peut donc affirmer que Jospin et Strauss Khan ont fait à Lagardère un cadeau dont la valeur avoisine les 6,9 milliards de francs (31,5% de 20 milliards de francs), soit une subvention légèrement inférieure à la valeur de la totalité du capital de l'entreprise Matra.
Un cadeau qui résulte de la sous-évaluation flagrante d'Aérospatiale.
Même vendue 38% plus cher, le succès de l'introduction en bourse du capital du groupe atteste que le prix des actions Aérospatiale-Matra ne paraissait pas excessif pour les boursicoteurs. La part de capital qui était réservée aux institutionnels (Banques, Assurances) a été souscrites entre 30 et 40 fois (!), la part réservée au public se contentant d'un modeste multiplicateur de 4,4... Dès le lendemain de sa cotation le titre Aérospatiale Matra avait connu une hausse de 17%.
La Commission des Opérations de Bourse déplora, lors de l'échange d'actions Aérospatiale/Matra, l'»accès limité et tardifs à certaines informations significatives () pour des motifs de délai et de confidentialité», et les &laqno;incertitudes allant au delà du caractère toujours aléatoire de toute prévision» () &laqno;peuvent affecter la parité retenue dans des proportions qu'il est difficile de chiffrer». Avant la privatisation d'Aérospatiale, de mystérieuses &laqno;banques conseil» agréées par le gouvernement et chargées d'évaluer le groupe affirmaient que les risques de change sur les ventes d'Airbus libellées en dollar compromettaient les bénéfices d'Aérospatiale et seraient de nature à diminuer la valeur de l'entreprise (alors que la montée du dollar profite à Aérospatiale qui réalise 60% de ses ventes en dollar). Enfin, alors que les &laqno; banques conseil &laqno; faisaient des prévisions pessimistes en matière de progression du chiffre d'affaire d'Aérospatiale avant la privatisation, on annonce, deux mois après, un contrat de fourniture d'hélicoptères en faveur d' Eurocopter à destination des armées française et allemande pour un montant de 20 milliards de francs. Dès lors, on ne s'étonnera plus d'apprendre que Yolaine de Courson, qui présente l' avantage de faire partie de la belle famille de Chirac, émargeait avant la privatisation, sur la liste du personnel d'Aérospatiale en qualité de directeur du contrôle financier et des fusions-acquisitions !
Stratégie, Synergie, Profits et Europe
Le périmètre du nouveau super groupe présente des compétences multiples sur toute la gamme aéronautique et spatiale civile et militaire, il développe un chiffre d'affaires de 80,6 milliards de francs, dont 35% dans l'armement. Il devient la première entreprise française de l'aéronautique et de l'espace, le deuxième fournisseur d'armement aéronautique et spatial de l'Etat français (après Thomson CSF) et le deuxième groupe européen sur le secteur. Au niveau mondial, il se place au cinquième rang de l'aéronautique et du spatial et en numéro deux dans les missiles.
Dans le domaine des missiles, le groupe va connaître les synergies les plus fortes. En raisonnant avec les commandes actuelles, l'activité dans les missiles devrait contribuer pour 47% aux bénéfices du groupe. En matière de missiles tactiques, les deux firmes offrent une gamme qui va du plus petit : l' Eryx de Matra dont la portée minimale de 25 m est &laqno;particulièrement appropriée pour les opérations de maintien de la paix», au plus gros : l'Exocet d'Aérospatiale qui fait des miracles contre les bateaux hostiles et les installations pétrolières ennemies. D'autres synergies potentielles existent entre les satellites civils et militaires développés par Matra et les missiles balistiques et autres lanceurs spatiaux d'Aérospatiale.
En intégrant Matra et Dassault, le chiffre d'affaire de l'Aérospatiale devient plus dépendant du secteur militaire qu'auparavant (35% contre 25%). Le rôle de l'Etat dans la fourniture des débouchés aux produits du groupe s'accroît au moment où l'armée française réoriente ses dépenses en faveur du secteur aéronautique, des missiles tactiques et de la guerre technologique (satellites et renseignement militaire). Dans les toutes prochaines années, la progression du chiffre d'affaire du groupe aéronautique et spatial, devrait être le reflet inversé de l'évolution de celui des arsenaux et du Groupement des Industries de l'Armement Terrestre, ce qui donne quelques certitudes sur les profits à court terme.
Cependant, la décrue s'annonce déjà : les fonds alloués annuellement par le budget de l'Etat pour les investissement de l'armée française sont très en retrait sur les lois de programmation et, lorsque les investissements des armées se tariront y compris pour la haute technologie, le problème des débouchés des produits militaires d'Aérospatiale et de Matra se posera. La parade prévue consiste dans la multiplication des exportations d'armement, traditionnellement garanties par l'Etat par l'intermédiaire de la COFACE et surtout dans la diversification vers le civil.
La constitution d'un groupe diversifié répond à plusieurs impératifs : d'abord, elle vise à étaler les coûts fixes de production (investissements, recherche) sur une gamme élargie de produits de manière à diminuer les coûts de fabrication des matériels. Cela vaut à l'intérieur du secteur militaires puisque la recherche et le développement peuvent être mises en commun sur quelques &laqno;produits» développés autrefois séparément comme les missiles. Mais la diversification vise surtout à englober les activités d'aéronautique civiles, plus profitables, de façon à leur faire financer des programmes militaires de plus en plus perfectionnés dont l'Etat ne peut plus assumer le coût en totalité. Auparavant, chaque fois qu'une compagnie aérienne achetait un Airbus, elle participait indirectement à la construction d'un missile Aérospatiale. Désormais, elle participera également à la construction d'un missile de chez Matra. Habitué à être la vache à lait de l'Aérospatiale, l'Airbus se voit désormais confier la tâche de couvrir les pertes futures prévisibles de Matra et de Dassault.
Les fusils commandent à la politique qui commande les fusils
Le secteur de l'armement a cela de spécifique que l'écoulement de ses produits est dépendant de décisions politiques à deux niveaux : à l'échelon national, qui fournit les bases des débouchés et à l'échelle internationale puisque les ventes d'armes sont toujours subordonnées à la politique étrangère de l'Etat dont relève le vendeur. Pour le producteur d'armes, la seule manière de sortir de la dépendance totale vis à vis de l'Etat dont il relève est de peser directement sur les décisions d'achat et de vente d'arme, d'autant plus qu'en régime de monopole privé, les profits et la satisfaction des actionnaires sont la condition de la pérennité des équipes dirigeantes. Aussi, dès la fondation de Matra, Lagardère s'est employé à constituer un empire de presse qui lui assure une autonomie relative vis-à-vis de ses commanditaires. &laqno;Un groupe de presse, c'est capital pour décrocher les commandes». Voilà le fond de la pensée de Jean Luc Lagardère.
Aujourd'hui, Lagardère dirige notamment Hachette-Filipacchi-Médias (HFM), premier groupe mondial pour la presse magazine et l'édition avec 13 milliards de francs de chiffre d'affaire, soit presqu'autant que Matra. La collusion des canards et des canons ne lui est pas exclusive : à travers la Générale Occidentale (Le Point, L'Express), Alcatel/Thomson CSF se taille également un joli empire. Quant à Dassault (ex patron de Lagardère), il végète dans la presse mondaine de droite (Valeurs Actuelles, Point de vue, Image du Monde etc...).
Pour corriger ce genre de problème, l'avant projet de loi Trauttman sur la presse visait à restreindre l'accès aux médias pour les groupes dont le chiffre d'affaire était lié aux marchés publics. L'intervention de certains groupes auprès de la dite ministre a fait capoter l'avant projet. Parmi ces groupes : on relèvera le nom de Vivendi (qui contrôle Havas), et quand on parle de Vivendi, Lagardère n'est jamais loin...
Tous derrière et lui devant, le périmètre du groupe
Dans le créneau médiatique, Lagardère a tout fait. Grâce à l'appui de Giscard d'Estaing, il a contrôlé Europe 1, (8% de part d'audience en 1998) dès 1974. Aux côtés de Berlusconi, il s'est essayé à la télé hertzienne en 1987 avec &laqno;la 5» et envisage d'entrer dans le capital de Canal+ moyennant des participations croisées avec Vivendi, premier actionnaire de Canal+. Dans l' édition, il a acquis Hachette en 1980 (encore Giscard) qui est aujourd'hui la deuxième maison d'édition française (Livre de Poche, Arlequin, Stock, Hatier, Calman Levy, Grasset) et le premier distributeur (44% des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne).
Pour ce qui concerne la presse écrite, les profits engendrés par le secteur militaire et spatial lui ont permis d'acquérir au fil du temps Télé 7 jours, Paris Match, Ici Paris, Elle, Première, le Journal du Dimanche, France Dimanche, l'Evènement (en passe d'être rétrocédé à JF Khan), OK, Podium, Vital, Parents, Entrevue, Jeune et Jolie, l'Echo des Savanes, Photo et 25% du groupe Amaury (le Parisien, Aujourd'hui, L'Equipe, France Football, l'Echo Républicain). Tout cela étant regroupé dans le groupe Hachette-Fillipachi-Média (HFM). En ce qui concerne la presse écrite et l'édition, il serait même question d'une fusion entre les activités de Vivendi et de Matra. Si tel était le cas, alors, une seule entreprise possèderait 70% du marché français de l'édition.
Actuellement, c'est sur le créneau des nouvelles technologies de la communication que la Lagardérisation des médias connaît une progression»Club Internet», il a jeté son dévolu sur les chaînes câblées Canal J et MCM et négocie avec Havas (Vivendi) pour le contrôle de 34% des bouquets numériques CanalSatellite et Multithématique. C'est Arnaud Lagardère (fils du père) qui est chargé de s'occuper de ça. Tout un symbole...
Comme pour la presse écrite, cette quête effrénée du monopole sur les contenus est doublée par une excellente situation sur les moyens de diffusion : Aérospatiale-Matra est la seule firme mondiale à maîtriser tous les segments de la technologie numérique : les satellites (Matra Marconi Space) et les lanceurs spatiaux (Ariane).
Cette stratégie de croissance tous azimuts n'est pas seulement nationale, le groupe HFM réalise déjà le tiers de son Chiffre d'Affaires à l'étranger. Cette stratégie n'est pas seulement axée sur un secteur précis mais vise l'intégration de l'ensemble des activités de Lagardère: il n'est pas innocent que la responsabilité du développement international des activités dans la presse écrite et audiovisuelle aient été confiées à Jean Paul Gut et Daniel Verret, respectivement président et directeur général d'Aérospatiale-Matra-Lagardère-International, en charge des activités spatiales et de défense du groupe. De la même manière, la toute récente fusion d'Aérospatiale-Matra avec l'entreprise Allemande DASA devrait donner un coup d'accélérateur à l'internationalisation de la presse Lagardère.
Stratégie Editoriale
La presse n'est pas seulement un système de dissuasion et de pression sur la classe politique, elle exprime aussi les intérêts du groupe d'armement et vise à prendre directement &laqno;l'opinion» à partie. Ceux-celles qui ont plus de 30 ans d'âge se souviennent peut-être de &laqno;l'Autre Journal». Fondé au milieu de la décennie 80, dirigé par Michel Butel et financé par le GAN, ce magazine mensuel généraliste de gauche s'était fait remarquer par ses positions anti guerre lors du conflit du golfe persique. Peu de temps après la fin des hostilités, le journal a été racheté par Matra. L'équipe dirigeante a été virée et, en prévision du conflit suivant, le magazine a été mis au service de la pensée révisionniste et belliciste Serbe qui était alors largement partagée par les milieux politiques (Mitterrand) et les milieux de l'armée française. Pendant la guerre en Bosnie, voyant que l'engagement des Américains était inéluctable et la position française intenable, Lagardère a changé son fusil d'épaule : l'Autre Journal a été coulé et Matra est entré dans la production du film &laqno;Bosna» de Bernard Henri Levy (philosophe appointé chez Grasset, filiale de Hachette). La promotion du film fut menée notamment à travers la constitution d' une liste pour les élections européennes de 1994 prônant l'engagement français dans le conflit aux côtés des Américains... Cet engagement se révèlera durable : plus récemment, lors de la guerre au Kosovo, &laqno;l'Evènement» (groupe HFM) se montre un des plus chauds partisans de l' intervention de l'armée française. Dans ses colonnes, B. Kouchner, D.Cohn Bendit, J.Solana et J.Fischer sont encensés. L'éditorialiste Benamou voit en eux les porteurs d'un &laqno;concept révolutionnaire, le devoir d'ingérence» et se réjouit du fait &laqno;qu'ils gênent les pouvoirs établis et les conformismes». Malheureusement pour Lagardère, peu de missiles français furent tirés dans cette guerre et l'essentiel de l'armement sophistiqué fut fourni par les américains.
Emplois locaux et voix de l'armement
En presse quotidienne régionale, Lagardère fait 1,6 milliards de francs de chiffre d'affaires avec une prédilection pour l'arc méditerranéen sur lequel il dispose d'un quasi monopole. En Provence Alpes Côte d'Azur et en Corse, Lagardère contrôle entre 60 et 100% du capital de l'ensemble des titres régionaux, à l'exception de la Marseillaise (journal plus préoccupé par les emplois à Eurocopter que par ce qu'on fait des hélicoptères). Il totalise près de 500.000 exemplaires quotidiens vendus avec La Provence, Nice Matin, Var Matin, La Corse et Corse Matin. Il souhaite étendre son influence en Languedoc Roussillon et Midi Pyrénées : début 1998, il a pris le contrôle de 8% du capital du groupe de presse &laqno;Midi libre» (260.000 exemplaires) avec les titres : Midi Libre (Montpellier, Béziers), Centre Presse (Rodez) et L'indépendant (Narbonne, Perpignan). Enfin, il veut acquérir la nébuleuse Radio Monte Carlo (3,8% d'audience nationale cumulée) qui comprend entre autres radio Nostalgie, Montmartre FM et une participation à Télé Monte Carlo.
Coïncidence, grâce à la privatisation de l'Aérospatiale, Lagardère devient le plus gros employeur industriel de la région P.A.C.A. avec Eurocopter à Marignane (13) qui génère 6500 emplois directs, Dassault Aviation sur la base d'Istres (13) pour un millier d'emplois directs et Aérospatiale à Cannes (06) pour 2000 salariés.
En Midi Pyrénées, le poids économique de Lagardère dans l'aéronautique (1700 emplois directs chez Matra, 1100 à Airbus et 9000 à l'Aérospatiale) se trouve conforté par un monopôle de presse désormais recentré sur les intérêts du capitaine de l'industrie dominante : à la fin de l'été 1999, Hachette a discrètement pris une part de 11,8% du capital de &laqno;la Dépêche du midi» (le journal de la démocratie du même coin, TLT et Sud Radio).
Quelles que soient la taille de ses territoires et la portée de ses missiles, Lagardère est incontestablement le seigneur de nos contrées.
Youri
CHRONOLOGIE D'UN PREDATEUR
Mai 1998 : le gouvernement transfère les actions qu'il détenait dans Dassault Aviation (45,8% du capital) à Aérospatiale.
Le 22 Juin 1998 : le gouvernement passe avec Lagardère (gérant de Lagardère SCA, holding qui possède Matra Hautes Technologies) un accord qui fixe les modalités de rapprochement d'Aérospatiale et de Matra. Il est convenu que Lagardère disposera de 31,45% du capital de la nouvelle entité par échange d'actions Matra contre des actions Aérospatiale-Matra et qu'il acquéra 1,55% du capital de l'ensemble Aérospatiale-Matra pour 850 millions de francs.
Le 13 février 1999 : Jospin signe le décret de cession de la majorité du capital d'Aérospatiale, en vue de la fusion avec le groupe &laqno;Matra» sur la base de la loi de privatisation de 1986.
Le 4 juin 1999 : l'opération est bouclée, les entreprises Dassault-Aérospatiale-Matra sont fusionnées et une augmentation de capital est souscrite pour 17% des actions qui sont mises en vente dans le public et auprès d'investisseurs institutionnels. La nouvelle entité est baptisée &laqno;Aérospatiale-Matra».
2,2% des actions du groupe Aérospatiale-Matra sont distribuées aux salariés d'Aérospatiale et de Matra, la participation de l'Etat au capital du groupe est ramenée à 47,8%, Jean-Luc Lagardère prend le contrôle de 33% du capital de la nouvelle entreprise et en devient le PDG.
Entre le décret de privatisation et l'introduction d'Aérospatiale-Matra en bourse, il s'est écoulé moins de 5 mois. Une opération rondement menée de façon à éviter d'en faire un enjeu des élections européennes et ce en dépit des multiples prises de position sur la défense européenne lors de la campagne. Pour le journal &laqno;Le Monde», il y avait urgence : &laqno;un retard aurait risqué de marginaliser définitivement l'industrie française». Trois mois après, Aérospatiale-Matra fusionnait avec DASA pour donner naissance à EADS, société de droit néerlandais.
LES COMPOSANTES DU GROUPE AEROSPATIALE-MATRA
- Matra Hautes Technologies :
chiffre d'affaire global : 16,9 milliards de francs en 1998; 36,2% de ventes en France; 62,4% de ventes en Europe. Lagardère (76ème fortune française) détient en propre une part minoritaire de l'entreprise mais règne sur l'ensemble. Selon les estimations de la COB, 56% du chiffre d'affaire de Matra serait réalisé dans l'armement qui contribuerait pour 85,2% aux profits de l'entreprise. La concentration des activités dans l'armement est en progression à la suite de la vente à Nokia des activités de Matra dans le téléphone mobile. Pour l'instant, la branche &laqno;missiles» avec les MICA, Black Shaheen, Storm Shadow et Scalp marche très fort à l'exportation et c'est le secteur des communications militaires qui tire l'activité dans les satellites. Dans les activités missiles et l'espace, Matra a de nombreuses participations en commun avec l'Angleterre (Matra Marconi Space, British Aérospace Dynamics) et l'Allemagne (DASA). A moyen-long terme, Matra Hautes Technologies devra faire face à une baisse des commandes dans ces deux secteurs.
- Aérospatiale :
54,9 milliards de francs de chiffre d'affaire (C.A) en 1998. 21,5% du C.A dans l'armement, et 78,5% dans le civil hors activité hélicoptère. L'armement se vend bien notamment à l'intérieur de l'OTAN. Les missiles tactiques et les hélicoptères (civils à 57% et militaires à 43%) connaissent un vif succès. En revanche, les missiles stratégiques accusent une baisse des commandes en raison du changement de la doctrine militaire des pays riches qui privilégie désormais l'intervention rapide sur le terrain à la dissuasion nucléaire. Globalement, les activités civiles d'Aérospatiale (Airbus) contribuent davantage aux profits de l'entreprise que ses activités militaires. Aérospatiale produit l'Airbus en partenariat avec DASA (RFA), British Aérospace (GB) et CASA (Espagne) récemment racheté par DASA. Les hélicoptères Tigre qui volent sur le dos sont aussi le fruit d'un partenariat avec DASA par le truchement de la société Eurocopter.
- Dassault Aviation :
45,76% du capital de Dassault a été transféré à Aérospatiale par l'Etat en décembre 1998. Si la famille Dassault, 8ème fortune de France, détient la plus grande partie du reste, Aérospatiale-Matra devient le premier actionnaire de Dassault.. Dassault fait figure de petite entreprise si on la compare avec les deux autres composantes du groupe. L'entreprise réalise 9,25 milliards de francs de chiffre d'affaires en 1998 dont 54,7% dans le militaire. La gamme d'avions militaires est constituée par le Rafale et le Mirage 2000 dont les plus gros acheteurs sont l'Etat français et les Etats du Golfe Persique. Le pôle de l'aviation civile est constitué par le Falcon (avions d'affaires).
Youri
CV
J.L Lagardère, 76ème fortune de France au classement du magazine Challenges, possèderait un patrimoine estimé à 1,5 milliards de francs.
Ses appointements, au titre de la direction de Matra-Hachette avoisinent les 6 millions de francs annuels. Pour compléter ce modeste salaire, Lagardère perçoit l'essentiel de ses revenus de la holding LMC. Cette holding prélève chaque année 0,2% du chiffre d'affaires de Matra et d'Hachette pour règler les salaires des principaux dirigeants du groupe. Son bénéfice, qui s'élevait à 38 millions de francs en 1997, est partagé à 80%-20% entre Jean Luc Lagardère et son fils Arnaud. Mais il y a aussi les petits à côtés : le journal France Galop, qui appartient à Lagardère, organise chaque année un concours destiné à récompenser la meilleure écurie de chevaux de course. Le gagnant de l'édition 99 n'est autre que J.L Lagardère qui se voit gratifié d'une récompense de 14 millions de francs
En septembre 1999, J.L Lagardère a été mis en examen pour une fraude fiscale qui porterait sur 50 millions de francs. C'est mesquin.