MAROC

AU PAYS du fils à papa

 

Après un règne absolu de quatre décennies, Hassan II, mort le 23 juillet 99, cède le pouvoir à son fils aîné Mohammed, devenu le roi Mohammed VI. Hassan II avait réussi, depuis son arrivée sur le trône,à mettre en place les structures d'un régime absolutiste qui devait marquer par la suite l'histoire politique du Maroc moderne.

 

HASSAN II EST arrive au pouvoir dans un contexte difficile, l'opposition nationaliste s'est acharnée à conquérir le pouvoir politique ou au moins à le contrôler. Elle a essayé, avec tous ses moyens, (manifestations, pression internationale, cellules de résistance, projets de coup d'état) à déstabiliser l'institution royale. Mais, Hassan II a rééquilibré, en sa faveur, le jeu politique en le segmentarisant. Ainsi, s'entamait au Maroc l'histoire noire des enlèvements, des emprisonnements, des assassinats (cas de Ben Berka)... En renforçant l'institution militaire par le recrutement de la paysannerie rurale afin de contrecarrer la montée de l'opposition citadine, le roi préparait une autre menace pour son équilibre dynastique. Les militaires ont essayé de renverser le pouvoir royal dans deux tentatives successives en 1971 et 1972. Mais l'échec des deux coups d'état a poussé le roi à réorganiser le camp des militaires. Il procède à la suppression du ministère de la défense et met sous son contrôle personnel les affaires de l'armée royale. Dans le même souci sécuritaire, Hassan II appelle, en 1975, à une marche pacifique (la marche verte) pour libérer le Sahara Occidental de l'occupation espagnole. Le problème du Sahara Occidental constituait un véritable alibi pour stabiliser son pouvoir. La guerre avec le Front POLISARIO était un "chantier préoccupant " pour les militaires. Il lui reste à réguler le front des forces populaires. Il contracte avec les partis politiques "reconnus " (les socialistes, le parti communiste, l'Istiqlal...) un consensus national. Mais, l'évolution des groupes militants des marxistes-léninistes, leur dénonciation de la manuvre politique du palais et des partis réformistes, et leur insistance sur le caractère non national et non démocratique du régime posaient problème. N'ayant pas réussi à les intégrer dans le processus de domestication des forces politiques pesantes, Hassan II procédait autrement, à sa manière répressive. Des arrestations collectives étaient à l'ordre du jour. Les militants, qui n'ont pas trouvé la mort dans les couloirs terribles des commissariats et des centres de rétention clandestins, ont été jugés arbitrairement, et ont été condamnés à des peines de prison allant jusqu'à perpétuité. Ainsi, le Maroc succombe dans une mise à mort de toute activité contestataire. Les dernières luttes populaires ont été sauvagement réprimées (1981, 1984, 1991).

Après des décennies de plomb, et avant sa mort, il avait mis en place un gouvernement d'alternance. Abderrahman El Youssoufi, chef du parti socialiste marocain USFP (Union Socialiste des Forces Populaires), a été désigné Premier ministre et a constitué un gouvernement de coalition (Socialistes, Istiqlalien, Souverainistes). Le gouvernement d'alternance a eu pour première tâche, si on ose dire, de rééquilibrer la vie politique pour assurer, en douceur, la succession dynastique. Mission accomplie, le Premier ministre se voit félicité par le nouveau roi dès ses premiers actes rituelo-politiques (prière d'investiture, discours à la nation). Il était aussi parmi les premiers signataires de l'acte d'allégeance. Un rapprochement qui mène des observateurs à parler d'une social-monarchie. L'allégeance bay'a, prêtée au nouveau roi le jour même de la déclaration de la mort de son père est d'essence religieuse, elle exprime l'idée du serment et du contrat et cristallise la continuité idéologique du système absolutiste consolidé après l'indépendance par Hassan II. Remarquons au passage que l'acte en lui-même résume la nature politique du régime. Contrat unilatéral, il attribue au roi le pouvoir absolu de décision politique. Les articles 23 et 28 de la constitution marocaine montrent bien que la monarchie est loin d'être constitutionnelle. Ils stipulent l'inviolabilité et la sacralité de la personne du roi (art 23) et que "(ses) messages... ne peuvent faire l'objet d'aucun débat " (art 28). Hassan II a poussé loin, en identifiant à la sacralité de sa personne la stabilité du Maroc, tout en s'arrogeant les prérogatives d'un chef d'Etat. Comme le roi conserve le contrôle des principales décisions politiques en matière de sécurité, d'affaires islamiques, de défense et de politique extérieure, le gouvernement ne joue, en effet, que le rôle d'une figuration démocratique du régime. Une façon de se faire applaudir par les pays occidentaux. Répressions, partage des richesses nationales par une caste, corruption, creusement des inégalités sociales, chômage, analphabétisme, questions identitaires, démontrent bien la lourde succession du nouveau roi.

Sera-t-il en mesure d'introduire de profonds changements ?

En deux mois de règne, Mohammed VI a montré les signes d'une volonté de rupture. D'abord, il a désigné un porte-parole du Palais. Un acte révélateur d'une réalité nouvelle : longtemps dirigé par un parent du roi, l'éternel My Ahmed Alaoui, le ministère des palais assure à la fois la gestion et la charge de &laqno;porte-parole»1. Le Palais ne reconnaissant jamais officiellement être une institution politique, Hassan II garde "la modeste apparence " d'un arbitre entre les partisans du jeu politique hakam et de garant de l'unité et de l'intégrité territoriale, préparait, par cette désignation, le terrain, pense-t-on, pour se constituer un champ dans le jeu politique officiel.

Ensuite, et dans le cadre des réformes, le Roi a annoncé la création d'une commission nationale chargée du dossier du Sahara. Elle se compose des personnalités militaires, des représentants des "citoyens " sahariens et des personnalités de la société civile marocaine. Le référendum est prévu pour juillet 2000, la création de cette commission peut apparaître, au début, comme une remise en question du traitement du dossier si on admet que l'autorisation du retour d' Abraham Serfati relève de ce nouveau regard que porte le nouveau roi sur la question. Serfati est privé de sa nationalité marocaine à cause de sa position à l'égard de la "marocanité " du Sahara. En soutenant l'autodétermination du peuple sahraoui, il a été expulsé du territoire marocain après avoir purgé dix-sept ans de prison ferme.

Mais, au vu des autres mesures prises par le souverain, il ne s'agit, en fin de comptes que d'une remise en ordre du jeu régulateur du pouvoir. Mohammed VI a hérité d'un pouvoir qu'il maîtrise mal. En tant que prince héritier, il ne se mêlait pas beaucoup des affaires du royaume. Les mesures prises ne concernent que les hautes hiérarchies sécuritaires. La création de la commission spéciale pour la question du Sahara Occidental, suivie de la désignation de Mohamed Loulichki comme ambassadeur-coordinateur auprès de la MINURSO (Mission onusienne au Sahara) et la nomination du Colonel-Major Hamid Laânigri chef de la DST marocaine, ne visent qu'à restreindre le champ d'influence du ministre de l'intérieur Driss Basri en l'écartant des dossiers sur lesquels il a la haute main. Abraham Serfaty, lui-même, a accepté de prêter allégeance au nouveau roi. Il a confié aux journalistes du quotidien socialiste marocain Libération sa volonté de contribuer à la construction d'un Maroc démocratique et moderne sous l'orientation de sa Majesté le Roi.

Le discours de politique générale du nouveau roi, lors de l'ouverture de la session parlementaire le 08/10/99, n'apporte rien de nouveau. En insistant sur la réforme de l'enseignement et sur la léthargie de l'administration marocaine, thèmes chers déjà à son père à l'époque, et la création de la Fondation Hassan II, Mohamed VI a passé sous silence les grands chantiers relatifs à la corruption d'Etat, les questions sociales et démocratiques.

C'est difficile de croire à des changements rapides et profonds au Maroc. Les réformes annoncées ne touchent que la haute hiérarchie de l'Etat. Faites dans un souci de parer tout danger pour son équilibre monarchique (à l'image de son parent influent My Ahmed Alaoui et de Driss Basri le puissant ministre de l'intérieur), le système gravite encore autour du roi et conserve ses incompatibilités originelles. Mélange de théocratie, de féodalité et de monarchie parlementaire comme figuration démocratique d'un vieux système, le Maroc continue à porter les signes de son histoire métissée de violence. Tant qu'il ne règlera pas définitivement le problème du Sahara - qu'il ne respectera pas pleinement les libertés individuelles et publiques - qu'il ne reconnaîtra pas les droits identitaires de la majorité berbère - qu'il ne désacralisera pas la personne du roi - qu'il n' introduira pas ces changements dans la constitution marocaine - qu'il ne luttera pas contre la corruption et la pauvreté... - il sera aberrant de parler d'un engagement solennel du nouveau roi dans la voie du changement .

A.F

1 Les commuiqués officiels sont souvent signés par le ministère dirigé par My Ahmed Alaoui.