&laqno;C'est en Afrique que ça se passe...»

Témoignage du Sud sur les rapports Nord-Sud, reçu par l'intermédiaire d'internet

Je vis à Tananarive, capitale de l'île de Madagascar et je suis malgache. J'ai vécu 10 ans en France lorsque j'étais étudiante à Paris. J'ai vécu le calvaire des étrangers (avec ou sans papiers) : le renouvellement de la carte de séjour tous les ans, les brimades quotidiennes, les petites vacheries que l'on subit chaque jour, les propos racistes auxquels on n'ose même pas répondre, l'humiliation, parfois même le désir de renoncer à sa race et à son identité pour jouir de plus de liberté et de dignité...C'était dur , mais j'y ai vécu 10 ans et j'ai connu des gens sympathiques et un pays magnifique. (....) Je suis de retour dans mon pays depuis 5 ans. Mariée, mère de famille, je jouis d'une vie tranquille. Elle serait d'autant plus tranquille si je ne constatais pas tous les jours la misère dans les rues de ma ville, les maladies qui sévissent, la mort des enfants, les petites filles qui se prostituent pour gagner leur nourriture, les mendiants, la saleté... et puis dans les quartiers chics les étrangers qui paradent avec leur voiture de luxe méprisant mes compatriotes et tripotant nos filles pour quelques pièces. Alors j'ai la rage contre ces étrangers. Ici, l' étranger est blanc, souvent d'origine française, il s'appelle Lefèvre, porte des Nike et un sac au dos. Je le hais parce qu'il attise mon désespoir et mon impuissance (...) Il réveille des souvenirs d'une jeunesse où j'ai souffert car j'étais étrangère alors que lui est heureux chez moi. Pour des tas d'autres raisons, ces étrangers m'enragent, tout comme les étrangers de la France enragent certains Français. Je me sens coupable, bien sûr, mais je ne peux m'empêcher de dire du mal d'eux. Alors j'en parle autour de moi, mes amis sont du même avis que moi : "les étrangers-blancs sac-à-dos" n'ont rien à faire ici ! Un jour, j'ai entendu sur RFI qu'une femme africaine était morte des mauvais traitements que les policiers qui l'ont expulsée lui ont fait subir, ça m'a fait réfléchir car moi aussi j'aurais été capable de frapper un étranger de chez moi si je crois être dans mon droit. J'ai constaté que je suis capable de devenir lepeniste façon malgache, je tiens les mêmes propos, je suis xénophobe et je crois avoir raison parce que je parle au nom de ma patrie et pour mes compatriotes, j'utilise des arguments défendant les valeurs profondes de ma culture. Je parle, je discute, je râle, je proteste mais je ne fais rien de positif. Quel est mon vrai problème, me demandais-je un jour ? Bon, d'accord les Américains sont exubérants, les Français envahissants, les Indiens prétentieux, les Chinois rusés....et puis ? Et puis et surtout les Malgaches sont pauvres. C'est cela le véritable problème : C'EST LA MISERE. C'est elle l'ennemie, c'est elle qu'il faut combattre. Durant et Dupont immigrent à Tananarive parce que chez eux ils risquent de finir par vivre dans le métro, ici ils jouissent d'une belle vie avec "le RMI braguette", comme on dit ici. Douala et Mohamed immigrent en France parce que en Afrique la vie n'est pas facile, au moins en dormant dans le métro on n'attrape pas la malaria et puis on espère obtenir une quelconque allocation, une subvention. C'est comme cela que Durant à Tananarive et Douala à Paris réveillent des réactions racistes de la part des "nationaux" frustrés. Tout est basé sur la frustration : l'émigration comme la xénophobie. Combattez la misère, celle des pays étrangers qui vous reçoivent mais surtout celle des pays pauvres d'où vous venez. Ne tournez pas le dos aux problèmes, ce sont NOS problèmes, notre misère, celle de notre famille, ne la fuyez pas. Puisque vous êtes là-bas expliquez-leur pourquoi vous êtes partis, racontez-leur les exodes pour fuir la maladie, les pillages, les tyrans, expliquez leur l'injustice des dirigeants, la corruption, les vols, montrez-leur les erreurs qu'ils ont commises en nous colonisant pendant des décennies en implantant dans nos pays un système qui n'est pas adapté à notre culture, dites-leur qu'il faut revoir comment ils ont divisé les frontières de l'Afrique, demandez-leur s'il est normal que nos chefs d'état soient obligés d'aller régler leurs problèmes chez eux pour des histoires auxquels ils ne comprendront jamais rien ? Dites-leur que les "aides humanitaires" qu'ils envoient à nos pauvres tournent souvent au cinéma, que ces aides finissent dans le ventre rebondi des dirigeants et des responsables des organismes internationaux, que ces aides ne sont pas des dons mais des prêts que nous devons rembourser au taux fort, dites-leur qu'on peut résoudre ces problèmes ensemble, que nous le devons puisqu'il est clair que le problème est partout et que les causes en sont liées. Comprenez aussi leur exaspération, les enfants de banlieues, la drogue, la violence, les vies médiocres qu'ils mènent, c'est tellement facile de basculer dans le racisme primaire, c'est tellement plus simple. Vaincre la pauvreté, ensemble, voilà ce qu'il faut faire. N'ayez pas un comportement de soumis, l'immigration, c'est l'affaire de tout le monde, c'est la faute à tout le monde. Dites-le leur. Ce n'est pas l'affaire du pays hôte qui résoud les problèmes des sans papiers de chez eux, c'est l'affaire de millions et de milliards de Français, Italiens, Africains, Yougoslaves, Chinois, Australiens, Suisses, Arabes, Américains qui sont pauvres.

Fara. fjato@hotmail.com