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RÉTENTION OU INCARCÉRATION DÉGUISÉE ?

A Toulouse, les conditions de rétentions des sans papiers sont de plus en plus alarmantes. Avocats et associations s'en inquiètent. Seule la Préfecture garde un moral...d'acier. Fin février 1998, le centre de rétention de Midi-Pyrénées, situé à proximité de l'aéroport Toulouse-Blagnac, était totalement ravagé par un incendie. Un détenu, d'origine marocaine, y mettait le feu. Manière de fêter son prochain départ vers la terre de ses ancêtres. Dès lors, la Préfecture de la Haute-Garonne ordonnait à tous les services de gendarmerie et de police, du département, d'assumer les rétentions des personnes appréhendées dans leurs secteurs géographiques respectifs. "Nous n'avions pas besoin de cette histoire d'incendie", reconnaît Bernard Nicolaïef, Secrétaire Général de la Préfecture de la Haute-Garonne, tout en poursuivant, "actuellement sur Toulouse, nous n'avons pas de locaux qui soient corrects pour mettre des personnes en rétention, mis à part ceux de l'Hôtel de Police". Le commissariat central de l'Embouchure a donc fait de la place.

Le secteur de dégrisement a été désigné pour servir de centre de rétention provisoire. Ce lieu est normalement habilité à recevoir poivrots d'un soir, clochards, ou prostitués. Et ce, pour une nuit. "Les sans papiers y séjournent en moyenne 10 jours avant d'être reconduits ou expulsés," nous a confié la Cimade, tout en précisant que "les conditions de rétentions y sont vraiment infernales. L'accueil est sordide. On a l'impression de pénétrer dans des oubliettes". Pourtant, pour le porte-parole de la Préfecture "tout est mis en oeuvre pour que les gens qui y passent ne soient pas traités comme des prisonniers et pour que les conditions de rétentions soient les plus humaines possibles".

Tellement humaine que le 24 mai dernier, un algérien et un tunisien se mettaient en grève de la faim pour protester contre leur imminente expulsion et contre la non-conformité des lieux. Ces lieux, où plutôt ce secteur est situé en sous-sol du commissariat. Pour y pénétrer il faut passer simultanément 2 portes à codes magnétiques, une fouille au corps et un chapelet de questions. Un poste de contrôle, où 2 flics prennent racines domine un couloir central de 10 mètres de long où de chaque côté sont alignées 5 cellules. Ces geôles de 4 m2 sont munis d'un lit et d'un lavabo. La lumière n'y pénètre jamais. Et pour cause il n'y a pas de fenêtre. Elles sont évidemment bruyantes. "Je serai mieux en prison qu'enfermé ici", explique avec tristesse Zegdoud. Ce sans papier d'origine algérienne a été arrêté le 24 mai, emmené dans cette cellule le 26 et expulsé le 2 juin. "Pas de T.V., pas de promenade, personne à qui parler. Je ne sors jamais d'ici. Si ce n'est pour manger. J'ai alors le droit de tourner une demi-heure. Puis je rentre dans la cellule. Je passe mes journées à dormir et à attendre que ça passe. C'est tout les jours pareil. Je suis un criminel pour mériter ça ?"

En comparaison le centre de rétention de Blagnac était luxueux. Des chambres de 4 lits, des fenêtres à barreaux, une salle T.V., une salle de restauration. La grande classe. En tout cas les conditions, d'un point de vue psychologique, étaient meilleures. D'après un chef de poste du commissariat, le médecin interviendrait 3 fois plus à l'Embouchure, qu'à Blagnac. Essentiellement pour administrer des calmants à des retenus qui pètent les plombs. Pour Me Zapata, "il est clair que les locaux sont mal appropriés. D'un point de vue juridique la rétention n'est pas ni une incarcération, ni une garde à vue et ni une détention. De plus, ce centre devrait normalement se trouver dans un lieu indépendant de la police. Enfin, les policiers ne sont absolument pas formés à gérer une telle situation. C'est du n'importe quoi"

Il y a effectivement des droits propres à la rétention. Droit pour un sans papier de téléphoner ou de faxer autant de fois qu'il le désire. Droit de recevoir des parents ou amis et enfin la possibilité de se faire assister d'un interprète. "A l'Embouchure ces droits sont appliqués en fonction des flics qui montent la garde. C'est totalement aléatoire ", se désespère la Cimade. Du côté de la Préfecture on temporise, tant sur les droits que sur les conditions de rétention. En effet, pour le Secrétaire Général, "je ne dirai pas que les conditions actuelles sont dures, je dirai plutôt que la situation actuelle n'est pas celle d'un centre de rétention classique et qu'on a donc été obligé de s'adapter". C'est bien les seuls à avoir pu le faire. Même du point de vue de certaines gendarmerie de la région, la contestation monte. Témoin le Président Thurière de Tribunal Administratif de Toulouse, "certaines gendarmeries hésitent à présent à prendre des personnes en rétention. Essentiellement par manque de place". Sentant le vent tourner, la Préfecture de la Haute-Garonne nous a lâché qu'elle venait de recevoir l'accord du ministère pour l'achat d'un bâtiment, en plein Toulouse, qui devrait rapidement servir de nouveau centre de rétention. De quoi rassurer tous les sans papiers qui errent à la recherche d'une solution.

Éric Dourel

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