interview des sans papiers

grevistes de la faim

Un an et demi après la promesse de régularisation de tous les sans-papiers par la gôche plurielle, plus de 60 000 demandeurs officiels restent toujours sur le carreau ou en attente de réponse. Alors que près de 350 000 foyers français se déclarent prêts à accueillir des réfugiés du kosovo, les sans-papiers continuent de se faire expulser à tour de bras. A Toulouse, des sans-papiers ont entamé le 10 mai 1999 une grève de la faim pour être considérés comme des êtres humains, et non plus comme des enjeux de politiciens, ils l'ont arrette apres plus de 40 jours, sans avoir vraiment rien obtenu (une promesse de négociation du préfet qui n'est jamais venu). Suite à cette grève les sans papiers toulousains partirent en marche sur Paris (avec hélas tout autant d'effetes...)

Comment la lutte des sans-papiers a commencé sur Toulouse ?

Comme partout ailleurs, après les événements de St-Bernard (été 1996 sous Debré) où les clandestins sont réellement entrés en lutte en se nommant &laqno; Sans-Papiers &laqno;. A l'arrivée de la gauche au pouvoir, la vague de régularisation a disloqué le mouvement des sans-papiers et a amené les gens déboutés à lutter individuellement, ce qui n'a pas déplu à la préfecture et au gouvernement . Et il a fallu beaucoup de refus et de déboutés pour reconstruire la lutte collective.

Quelles sont les raisons qui vous poussent à entamer une grève de la faim?

Ne pensez-vous pas qu'il n'y avait pas d'autres actions à faire avant d'être si radical?

Je ne pense pas que la grève de la faim soit l'ultime tentative pour la simple raison que les personnes amenées à la faire ne sont qu'une poignée, ce n'est donc pas tout le collectif qui est remis en cause Il faut que quelques-uns se mouillent pour que les autres soient au sec. On essait donc de tracer le chemin pour nos copains.

Pour nous, ce n'est pas la dernière tentative. Au contraire, s'il y a un échec au bout, et que je puisse me relever, je referai une autre tentative proposée par d'autres sans-papiers.

Je suis désolé, mais en France quand un SDF meurt au bord de la Garonne par une température de -10°, le lendemain on parle pour tous les SDF. Quand un tunnel brûle, ce sont tous les tunnels qui sont passés au peigne fin. Je ne dis pas ça pour dire que je vais me suicider pour les autres, je vais faire uniquement la grève de la faim, avec tout ce que ça peut comporter comme danger.

Quelles sont vos revendications et qui les soutient ?

La première revendication est d'annuler les Arrêtés Préfectoraux de Reconduite à la Frontière (APRF) qui nuisent à pas mal de gens. C'est à dire qu'ils se servent des informations données pour la régularisation pour t'envoyer des APRF. Ils utilisent contre toi les infos que tu leur donnes. Cet APRF signe ton expulsion européenne, alors qu'au départ ces informations ne devaient pas te desservir. Pour ça, ils ont très bien fait les choses. Le seul truc qui nous reste à faire, c'est de se débattre contre la police qui vient te chercher pour t'expulser par le premier train ou bateau ou avion qui t'embarque comme de la marchandise.

La seconde revendication, c'est la levée des Interdictions du Territoire Français (ITF). C'est des personnes qui ont fait de la prison pour défaut de papier ou pour refus d 'embarquer dans l'avion. Il faut enlever cette interdiction pour pouvoir négocier équitablement avec ceux qui signent ce genre de chose.

La troisième, c'est la régularisation des gens que nous représentons. J'aimerais bien être régularisé pour 10 ans, car les régularisations de un an ne servent qu'à étouffer la lutte et, à terme, les gens seront de nouveau seuls pour prolonger leurs titres de séjour. Nous demandons tout simplement l'application des critères définis par la loi, ce que ne fait pas l'état en criminalisant les sans-papiers. Il est aberrant que l'on refuse des papiers à un étranger sous prétexte qu'il a fait de la prison pour défaut de papiers ou pour refus d'embarquement Je me sens également solidaire avec des gens qui ont commis des délits de droit commun, car quand tu es clandestin, ta survie dépend de la débrouille, et vu les pressions subis (psychologique) tu deviens vulnérable. Je ne suis pas d'accord avec la double peine car c'est une loi d 'exception à l'encontre des étrangers. Pour un même délit un français va en prison alors qu'un étranger est expulsé (après sa peine de prison bien sûr).

La quatrième, c'est la régularisation des demandeurs d'asile. Beaucoup sont en attente de leur régularisation et je ne vois pas trop le genre de preuves que l'on peut fournir pour démontrer les violences et persécutions que l'on subit dans nos pays ravagés par la guerre ou la misère.

Pourquoi avoir choisi un local associatif (regroupant entre autre AC, DAL, Ras le Front, LDH) pour organiser votre grève de la faim ?

Dans un premier temps, on a voulu éviter les églises pour ne pas reproduire ce qui a été fait auparavant. J'ai interpelé les syndicats pour sensibiliser tous les travailleurs. Il y a même un gréviste de la faim qui avait la carte de la CGT. Mais ils nous ont répondu que ce n'était pas possible!

N'avez vous pas peur d'être récupérés par les gestionnaires de ce lieu ?

Non, parce que c'est nous qui avons organisé cette action et qui avons occupé ce lieu . De toute façon, on a déjà été récupérés par Jospin quand il a dit qu'il abrogerait les lois Pasqua-Debré. De plus, la lutte ne se limite pas au lieu, car c'est plus à la préfecture que ça se passe pour les soutiens.

Depuis quelques mois que nous essayons d'être autonomes dans un cadre collectif, il y a des gens qui font des campagnes parallèles pour dissuader les individus qui voulaient se joindre à nous, même si la question pour eux n' était pas de faire une grève de la faim mais de faire partie du comité de soutien.

L'alternative est simple pour les gens dans la même situation que nous : il y a des sans papiers qui proposent cette action. Maintenant, si quelqu'un a des papiers et que tu préfères le suivre fais ton choix.

Quels sont les situations administratives des actuels grévistes de la faim ?

Sur les cinq actuellement en grève, une personne a 9 ans de présence sur le territoire, deux personnes ont 6 et 7 ans et moi 3 ans. Deux d'entre eux ont un APRF. Le troisième est un algérien dont le grand-père a fait la 1ère guerre mondiale sous le drapeau français, et son père la suivante. Il a écrit une lettre à Mitterrand depuis l'Algérie pour demander un titre de séjour qui lui a été accordé du fait des états de service de sa famille. Arrivé en France en 1993, on lui a fourni un visa de trois mois renouvelable à condition de trouver un contrat de travail d'un an minimum. Comme il n'en a pas obtenu, il se retrouve clandestin depuis...

Dans le contexte actuel, la guerre au Kosovo et les élections européennes qui approchent , comment pensez-vous capter l'attention de l'opinion publique à Toulouse?

De toute façon nous n'avons pas le choix. Les dernières réponses de régularisation se terminent et on voit nos copains se faire expulser de manière très massive et très cruelle. Nous, on n'a pas choisi volontairement cette période, car après on n' est plus sûrs d'être un collectif ni d'être en France, si ce n'est en prison pour refus d'embarquement...

Ce qu'il faut savoir, c'est quand on est clandestin, non seulement on est exploité, mais en plus on a aucun droits ni recours. On peut toujours crier mais pas trop fort, sinon on se fait expulser dans la minute qui suit . Nous, on se bat pour devenir des humains, c'est à dire partager vos problèmes, tout simplement.

Cette lutte sert aussi à rappeler à l'opinion que nos parents ont été amenés de force pour travailler en France.

Quel est la meilleure façon de soutenir votre lutte ?

Venant de la part d'un français, c'est faire pression sur leurs élus et de toucher le plus grand nombre de personnes absorbées par leurs problèmes personnels. Il y a également des pétitions qui tournent.

Matricule 839

Contact : 10 bis, rue du Colonel Driant, 31400 Toulouse, Tel. 05 62 26 69 19

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