Un témoignage d'une personne arrêtée et tabassée au G8 de Gènes

GENES 2001 Voici un document rédigé dans le seul but de témoigner avec précisions et détails, sur des évènements que j¹ai vécu à l¹occasion des manifestations à Gênes le 20,21,22 et 23 juillet 2001. Il est écrit dans un souci de clarté et loin de toute ambition littéraire ou journalistique. L¹important est de savoir et de faire savoir.

ARRESTATION

J¹ai été arrêtée Piazza DANTE, vendredi 20 juillet à 14 heures, par un corps d¹hommes armés, casqués, protégés de boucliers. Ils m¹ont traînée à l¹écart de la manifestation, des regards et des médias qui étaient présents Piazza DANTE. Là ils m¹ont remise aux mains d¹une dizaine d¹hommes en civil qui m¹ont ordonné de monter dans une voiture banalisée. Devant leur nombre, leur violence verbale et gestuelle et l¹agressivité évidente qui émanait d¹eux, je me suis couchée au sol et j¹ai demandé une personne parlant français, un avocat, et des papiers justifiant qu¹ils étaient bien de la police. Les premiers coups sont tombés, ils m¹ont plaqué la tête au sol et menotté les mains dans le dos en me donnant des coups de bottes. Ils m¹ont maintenue dans cette position durant une trentaine de minutes. Je les entendais crier " niente fotos !, niente fotos !. Ils m¹ont fouillé et vidé mes poches par terre. Soudain ils m¹ont attrapé et demandé d¹entrer dans la voiture. J¹ai revendiqué : qu¹on m¹ôte les menottes, que l¹on m¹explique, que l¹on me montre des papiers justifiants que je devais leur obéir. Ils m¹ont saisie violemment à 5 et forçaient à entrer dans la voiture. J¹ai résisté, crié, appelé à l¹aide en m¹aggripant à un panneau de signalisation. Un homme en civil est arrivé. Une discussion entre eux, en italien, a débuté. Cela a duré. Soudain, la voiture banalisée a démarré, une voiture de police avec cellule blindée à l¹arrière a pris sa place. Une policière (en tenue) en est sortie, les 5 hommes m¹ont re­attrapée à bras le corps, et la femme m¹a frappée au visage de toutes ses forces. Sonnée, j¹ai malgré tout tenté de me débattre et d¹appeler à l¹aide, en vain.

TRANSFERT BOLZANETTO

Le transfert a eu lieu dans un véhicule de police avec une cellule blindée en plexiglas avec une banquette en plastique lisse sur laquelle il n¹est pas possible de se maintenir assise dans les virages. À l¹avant un policier (en tenue) au volant et une policière, celle qui m¹avait frappée, à ses côtés. J¹avais les mains menottées dans le dos et le véhicule roulait à fond, j¹ai aperçu 140 au compteur. À chaque coup de frein ou virage, j¹étais projetée durement d¹une partie à l¹autre de la cellule. La voiture a stoppé quelques instants à un barrage de camions et autres véhicules militaires ou policiers. La femme policière est sortie discuter, l¹homme s¹est retourné vers moi et m¹a demandé " va bene ? ". J¹ai fait signe que j¹étouffais, il m¹a montré l¹arrivée d¹air à mes pieds. Puis nous sommes repartis. Le véhicule est sorti de la ville, a emprunté une autoroute et un péage.

BOLZANETTO (d¹après recoupement)

À l¹arrivée la voiture s¹arrête devant un groupe de bâtiments. Dans la cour une quarantaine de militaires (?) habillé en kaki, avec des bottes noires, des gants noirs, des gilets pare-balles noirs, des matraques, des armes, des menottes accrochées aux pantalons. Ils me sortent du véhicule avec violence et me lance dans le premier bâtiment à ma gauche. Pour y accéder, il y a des marches, en haut des marches il y a un hall d¹entrée assez large avec de suite à droite un bureau, et à gauche un autre. En face un long couloir large de 2m, avec de chaque côté des portes au début et des grilles de cellules ensuite. Je suis emmenée dans la deuxième cellule à droite. En traversant ce bâtiment je remarque qu¹il n¹y a pas d¹autres prisonniers et que c¹est plutôt calme. Je me souviens avoir penser être la seule à m¹être faite arrêtée. Mais dans la cellule, je vois une jeune fille d¹une vingtaine d¹années au fond, debout les jambes écartées les paumes contre le mur, qui pleure. La policière (en tenue kaki) qui surveillait la grille a tourné sa clef et m¹a fait signe de la main de me mettre dans la même position. Je n¹imaginais pas encore ce qui se passerait quelques minutes plus tard et pleine de courage, je lui ai répondu que c¹était une blague, qu¹on n¹était pas au moyen âge et je me suis assise en tailleur au milieu de la cellule. La policière a haussé les épaules et m¹a tourné le dos. Je me suis tournée vers la jeune fille et je lui ai demandé si elle était française, elle m¹a dit être allemande. Je lui ai expliqué en anglais, qu¹elle n¹avait pas à subir ce genre d¹humiliation et qu¹elle pouvait s¹asseoir. Elle semblait terrorisée et en larmes elle m¹a dit qu¹elle ne voulait qu¹une chose, c¹était obéir pour en finir et sortir d¹ici au plus vite. On est venu me chercher de suite pour un premier interrogatoire. Dans le couloir, déjà il y avait un début d¹effervescence et dehors on entendait des sirènes. On m¹a reçu dans le 1er bureau à droite en rentrant dans le bâtiment. Un homme, qui semblait être le chef des lieux, la quarantaine, un peu plus petit que moi, en civil, un peu rond, la tête ronde, chauve, les yeux bleus. Il m¹a parlé en français. Il m¹a traduit les questions que me posait un homme brun, assis au bureau. Nom, prénom, âge, noms des parents, profession de chacun, etc. Ils avaient mon passeport ouvert sur le bureau. Il m¹avait été pris dans la poche de mon jean¹s Piazza Dante. J¹ai répondu à chaque question en rapport avec mon état civil, et lorsqu¹ils ont commencé à me demander ce que je faisais dans la manifestation, j¹ai demandé un avocat, que l¹on prévienne Attac, et le consulat. L¹homme rond et chauve, est sorti du bureau visiblement énervé, et le brun m¹a tendu un dossier de plusieurs feuilles, en me demandant d¹y écrire ce que je venais de leur dire, c¹est-à-dire nom, prénom, profession, etc. et de signer en bas de chaque page. Il y avait des textes en italien sur chaque page et des blancs avec des pointillés. J¹ai dit : " je ne comprends pas l¹italien, je veux un avocat, je ne signerai pas ". Il est sorti du bureau, très énervé lui aussi et l¹homme chauve est revenu quelques secondes plus tard. (Dans le bureau, il y avait en permanence deux ou trois militaires). Il s¹est assis en face de moi, sur le bureau, et m¹a dit, les yeux dans les yeux : " écoute, pour l¹instant, on n¹a rien à te reprocher. Ces papiers, c¹est la procédure normale, ça dit ce que tu as fait, où tu as été attrapée, et les textes habituelsŠ Si tu signes, ce soir tu es chez toi " J¹ai répondu : " je veux un avocat, je ne signerai pas ". Il est sorti. Les militaires m¹ont attrapée violemment et m¹ont traînée jusqu¹à la cellule, dans laquelle ils m¹ont " jetée ". Dans la cellule, il y avait toujours la jeune fille allemande, debout les mains sur le mur. Une autre Allemande nous a rejoint peu après. Quelques minutes plus tard, la caserne a commencé à résonner de cris et d¹agitation, dehors on entendait des sirènes de police ou d¹ambulance. J¹ai vu deux ou trois premiers prisonniers en sang projetés devant ma cellule. Ensuite les hurlements se sont amplifiés, les prisonniers filles et garçons, tous très jeunes, sont arrivés en nombre. Les militaires les faisaient mettre la face contre le mur jambes et mains écartées qu¹ils soient valides ou blessésŠ Ils ont commencé à les frapper avec une violence extrême à coup de bottes au niveau des jambes, les parties sexuelles, le dos, les côtes Ils leur donnaient des coups de casques derrière la tête, et le visage des prisonniers s¹écrasait contre le mur. À ce moment, un militaire est rentré dans la cellule, m¹a projetée contre le mur. Il m¹a fait mettre en position face au mur et m¹a intimé l¹ordre de ne plus tourner la tête. Là, le vacarme était terrifiant : le couloir résonnait de hurlement de souffrance, de plainte et aussi des insultes gueulées par les militaires. Les bruits de coups et de brisements d¹os étaient insupportables, et, malgré les menaces, je gardais les yeux vers le couloir, pour voir et savoirŠ Les militaires cognaient contre les barreaux dès qu¹ils me voyaient tourner la tête, mais ils avaient " mieux à faire ". Certain prisonnier du couloir s¹écroulait et là, c¹était une avalanche de coups de bottesŠ Je remarquais que les militaires s¹acharnaient sur les plaies et les traces de coups déjà présentes... Notamment, une jeune fille avec une plaie ouverte au front a reçu des coups de poing répétés sur sa plaieŠ Lorsqu¹ils m¹ont emmené pour le second interrogatoire, j¹ai vu dans le hall d¹entrée, plusieurs dizaines de corps, allongés, qui baignaient dans le sang Š Pour moi, à ce moment-là, certains étaient mortsŠJ¹entendais toujours des sirènes au-dehorsŠÀ partir de ce moment-là, tous les déplacements pour être interrogé se faisaient à coup de bottes, de matraque et de bourrades jusqu¹au bureau Š Aller et retour, j¹ai été projetée par terre, tirée avec violence par les vêtements et les cheveux, j¹ai reçu des coups du plat de la main derrière la tête et sur la face, j¹ai été insultéeŠ. Ma cellule s¹est remplie de garçons et de filles dont certains étaient très amochésŠ Plaies ouvertes, ¦ils totalement fermés par des hématomes, bouche éclatéeŠLes premiers qui ont demandé à aller aux toilettes étaient également frappés et violentés jusqu¹aux WCŠOn entendait leurs hurlements et leurs plaintes. Quand j¹ai voulu à mon tour aller aux toilettes, une co-détenue m¹a fait signe de me laver les mains car, pour elle, le fait qu¹elle " oublie " de le faire, a été prétexte à un tabassage sous les insultes. Beaucoup de détenus ont uriné discrètement dans la celluleŠ Jusqu'à tard dans la nuit et peut être jusqu¹au petit matin, les scènes décrites plus haut ce sont poursuivies, les prisonniers étaient copieusement et systématiquement passés à tabac avant d¹êtres envoyés en cellule ou traînés jusqu¹au hall s¹ils étaient inconscients. Aucun soin n¹était prodigué, même à ceux qui étaient visiblement en danger de mortŠ J¹ai vu un jeune garçon pris de convulsions, du sang coulait de ses oreilles ou de son crâne. Il avait de la bave blanche qui sortait de sa bouche et il avait les yeux révulsés. Il a été laissé gisant par terre, je l¹ai vu à plusieurs reprises durant mes transferts, toujours au même endroit et inanimé ŠJe donne ici la liste des insultes proférées par les militaires que j¹ai compris : " communisti, integristi, rossi,Šporchi canni ". Chez les militaires, il y avait des hommes et quelques femmes. Les hommes étaient les plus actifs pour les violences, mais les femmes participaient activement, riaient tout le temps, et étaient d¹une grande duretéŠ Aucune trace de compassion ou l¹ombre d¹un réconfort et à plus forte raison aucune tentative d¹interposition ne s¹est manifestée, à aucun moment, de la part des militaires ou d¹aucun autre personnel de la caserne. Tous étaient pris d¹une sorte d¹hystérie de violence.

Dans les autres interrogatoires que j¹ai subis, peut être 4 dans la nuit, les militaires me demandaient de signer ces fameux formulaires en italien et avec de nombreux blancs. . J¹ai toujours refusé de signer et sur chacun des papiers, ils ont inscrit " si rifiuta ".. Lors d¹un des interrogatoires, un policier m¹a montré les photos de mes enfants sur mon passeport et dans son français a dit " c¹est dommage, la mamma en prison si no firma (tr : si elle ne signe pas ) tu ne veux plus voir tes enfants ? ". J¹ai dit que je préférais la prison, que de signer ce que je ne comprenais pas. Il m¹a dit que je n¹étais pas prête de sortir de prison et qu Œen Italie les intégristes, " on les traitait comme ça. ". Au dernier interrogatoire, le " gros chauve " m¹a signifié que devant mon refus de signer , il me mettait en état d¹arrestation et qu¹il me livrait aux autorités pénitentiaires. Un autre interrogatoire a eu lieu avec les policiers pénitentiaires (leur uniforme était légèrement différent). Il y avait une policière parlant un peu français, qui a tenté de me traduire ce que me demandait un policier. Là encore, d¹autres formulaires en italien à signer. Devant mon refus, les policiers pénitenciers se sont énervés, m¹ont clairement signifié que j¹étais maintenant une prisonnière et que j¹étais en état d¹arrestation. J¹ai craqué nerveusement, je me suis effondrée par terre en disant que je voulais que l¹on prévienne ma famille, un avocat,ŠMais je n¹ai rien signé. Retour dans la cellule, toujours debout , toujours les cris, les bruits de coups Š. Un moment, j¹ai été menottée et emmenée dans une autre partie du bâtiment pour ce qui allait être une " visite médicale ". ils m¹ont fait entrer dans une pièce meublée d¹un divan, recouvert d¹une nappe de papier, d¹une table, de quelques chaisesŠJ¹ai remarqué un pèse-personne. Il y avait 3 femmes, dont la policière qui parlait un peu français, une femme en blouse blanche, et environ 10 hommes en uniforme qui allaient et venaient, rentrant et sortant de la pièce. Un morceau de couverture était déplié par terre au milieu. Ils m¹ont demandé de me mettre sur la couverture et de me déshabiller entièrement. Il y avait toujours des hommes dans la pièce. J¹ai demandé à l ¹" interprète " s¹ils pouvaient se retourner. Elle leur a traduit : l¹un deux s¹est levé et s¹est mis à crier, agressif et énervé. " L¹interprète " m¹a traduit qu¹il n¹y avait ici que des docteurs et des infirmiers et que j¹avais intérêt à me déshabiller très viteŠJe me suis exécuté. Pas assez vite à leur goût. Ils m¹ont répété de me dépêcherŠLa policière me prenait mes vêtements au fur à mesure, les secouaient et les scrutaient, avant de les jeter par terre. Une fois nue, j¹étais en face d¹eux, je tentais de protéger ma pudeur ; la policière m¹a fait écarter les jambes en me donnant deux coups de pieds secs au niveau des genoux et m¹a dit de mettre mes bras à l¹horizontale, devant moi. Elle m¹a demandé de m¹accroupir 3 fois. Ensuite, elle m¹a retournée. Après de longues minutes, la policière m¹a tendu mon slip que j¹ai pu remettre. On m¹a dit ensuite de me mettre sur le divan et la femme en blouse blanche m¹a ausculté et pris la tension. Elle m¹a aussi posé des questions que la policière avait du mal à traduireŠ Cela concernait apparemment mes antécédents médicauxŠ J¹ai compris qu¹elle m¹indiquait que ma tension était élevée, 17 ou 18. Elle n¹a semblé ne pas faire attention aux nombreux hématomes que j¹avais sur le corps, notamment sur l¹épaule et la cuisse (coup de matraques). Elle ne m¹a jamais demandé ce que c¹était, ni si je souffrais. Les hommes étaient toujours là, allant, venant. J¹ai demandé un médicament pour soulager ma tête, (je souffrais du coup de poing de mon arrestation)Š La femme en blouse blanche a dit quelques mots à la policière qui a traduit qu¹on allait s¹occuper de moiŠJ¹ai été ramené à la cellule et il n¹a plus été question de médicament ni de soin. Au contraire, les sévices ont continué dans les cellules. Un militaire plus survolté que les autres désignait un détenu au hasard (mais plus facilement ceux qui étaient percés ou tatoués, ou qui portaient des locks), l¹attirait contre les barreaux et se mettait à le frapper à coup de gifles et de bottes. Un autre coupait avec des ciseaux les cheveux longs des filles et des garçons (dreadlock), et les capuches des blousons.

Plus tard, encore un autre transfert menottée dans le bâtiment pour la prise des empreintes et les photos. Le fonctionnaire chargé de ces formalités était de mauvaise humeur et semblait reprocher au policier son surcroît de travail. Au bout de la nuit, les policiers se sont lassés de nous maintenir debout car beaucoup d¹entre nous s¹écroulaient de souffrance et d¹épuisement. Nous avons fini par tous nous accroupir dos contre le mur et nous blottir les uns contre les autres. Nous tremblions de peur et de froid. Dans ma cellule, nous étions en cette fin de nuit, 2 filles, une Américaine nommée Tereza, moi-même, et huit garçons. Je me souviens particulièrement de l¹un d¹eux très maigre qui pleurait en silence. Tout à coup, un groupe d¹une vingtaine de militaires a fait irruption dans la cellule. Ils nous ont empoigné, et menotté deux par deux. Tereza et moi ensemble... Les gifles se sont encore mises à pleuvoir. Nous avons été jetée hors de la cellule puis dans le couloir. Ils s¹en sont alors pris aux garçonsŠ Des bruits de coups violents et des hurlements insoutenables ont une fois de plus longuement retenti, puis ils nous ont emmené dans un fourgon cellulaire. Au passage, dans le hall, j¹ai aperçu à nouveau le même corps inanimé que j¹avais vu dans l¹après-midi, il n¹avait pas bougé...

TRANSFERT 1ÈRE PRISON

Il faisait nuit noire lorsque nous avons traversé la cour vers le fourgon cellulaire. À l¹intérieur, trois cellules grillagées. Une fois dedans, deux par deux, (j¹étais avec Tereza), on ne voyait plus les autres prisonniers (quatre garçons), on les entendait seulement. Dans ce fourgon, garé au milieu de la cour remplie de militaires qui s¹agitaient, nous sommes restés une éternité. Je me rappelle m¹être endormie deux ou trois fois, et réveillée à chaque fois à coup de matraque dans la grille, alors que nous étions menottée et enfermée dans la cellule. Chaque fois que Tereza et moi nous endormions l¹une contre l¹autre, un militaire nous réveillait à grands coups dans la grille. Par la porte du fourgon laissée ouverte tout le long, j¹ai vu que la ronde d¹ambulance continuait à circuler. Nous n¹avions aucune explication. Nous avions faim, soif, nous étions frigorifiées et terrorisées. Là, nous étions à nouveau aux mains des militaires, les " tabasseurs ". Je remarquai une femme corpulente, trente ans, blonde, coupe au carré, qui était restée devant la grille de ma cellule tout le long de la soiréeŠ Elle semblait particulièrement à l¹aise dans cette ambiance de massacre et n¹hésitait à encourager ses collèguesŠNeuf militaires, dont la femme blonde, sont montés dans le fourgon. J¹ai remarqué qu¹ils s¹équipaient avec bouclier, armes prêts à servir, comme s¹ils s¹attendaient à un assaut du fourgon. Nous avons roulé longtemps sur des autoroutes, je pense. Arrivés dans une prison, nous avons à nouveau été traînés tous les six, sans ménagement, à travers les couloirs. Cela me semblait être " une livraison " à une autre équipe de militaireŠ Ils nous ont séparées des garçons, démenottées et envoyées dans une minuscule cellule avec toilettesŠLa porte est à peine refermée, les hurlements, les bruits de coups, les insultes ont repris à nouveau de manière insupportable pendant 15 minutes. À ce moment-là, Chiara puis Ariana, 2 italiennes, nous ont rejoint. Leurs yeux étaient exorbités, Chiara tremblait de froidŠ Nous nous sommes blotties les une contre les autres. Très vite, nous avons été menottées et transférées dans un nouveau fourgon, pour reprendre la route, nous n¹avons jamais revu les garçons. PRISON D¹ALESSANDRIA SAMEDI

Quand nous sommes arrivé à la prison d¹Alessandria, le jour s¹était à peine levé. Nous avons été alors enfermées dans une cellule sans toilette, avec un rebord en ciment de 10 cm, sur lequel il est impossible de s¹asseoir. La grande fenêtre à barreau donnait directement sur l¹extérieur sans vitrage. Le matin devait être frais, ou était-ce l¹état de choc, toujours était-il que nous avions horriblement froidŠ J¹ai aperçu à ce moment l¹état de Tereza. Son dos n¹était plus qu¹une plaie. Des hématomes longs, boursouflés, sanguinolents débordaient les uns sur les autresŠ Il n¹y avait pas 1 cm de peau entre les fesses et les épaules qui soit intact. Je me rappelle maintenant que lors du transport, Tereza faisait son possible pour ne pas s¹appuyer sur le dos. (Elle posait sa tête sur ses genoux). Chiara était surtout blessée sur les côtes et les jambes. Ariana semblait moins touchée physiquement, mais son visage était ravagé par la peur. Durant la matinée, d¹autres filles nous ont rejoint jusqu¹à que nous soyons 9 dans la cellule. Ester est italienne, mais parle français. Elle est, elle aussi, couverte d¹ecchymoses. À chaque arrivé de détenue, nous interpellions les gardiens pour qu¹il nous donne à boire ou pour aller au WC. Après une longue attente, entre 20 et 40 minutes, ils nous permettent d¹aller aux toilettes, une par une.. Enfin est venu mon tour :. Il y a un robinet dans les WC et j¹ai pu boire. En début d¹après-midi, nous avons été amené à tour de rôle, pour les formalités et la fouille mais cette fois-ci, uniquement en présence de 2 femmes. D¹abord dans un premier bureau, ils ont fait l¹inventaire de mes affaires : certaine m¹avait suivie, carte bleu, lunettes, d¹autres avaient disparu, notamment les interviews d¹Aguitton, J. Bové et les journaux que j¹avais acheté et qui m¹aurait servi à rendre compte de la manifestation (!). Pour la visite médicale, le docteur, un homme d¹une cinquantaine d¹années a trouvé à nouveau ma tension élevée et m¹a proposé 1 cachet pour dormir. J¹ai refusé. Il a demandé si j¹étais blessée mais ne m¹a ni auscultée, ni examinée. Ensuite, dans un autre petit bureau, j¹ai récupéré un sac-poubelle avec une couverture, un drap, une assiette une fourchette et une timbale en plastique blanc. Sur mon formulaire d¹enregistrement d¹incarcération, il était marqué 15H. J¹ai été alors conduite dans un bureau qui me semblait être celui du directeur de la prison. J¹ai rempli encore des formulaires (état civil). Là, j¹ai recommencé à demander un avocat et à ce que l¹on prévienne ma famille, le consulat, etc. Pour l¹avocat, il fallait que j¹attende le lendemain (dimanche). Pour la famille, j¹ai du noté mon numéro sur un bout de papier et le directeur m¹a assuré qu¹il s¹en occupait personnellement dans l¹heure qui suivait. Il m¹a également garanti, que je pourrai voir mon avocat demain matin, que je pourrai téléphoner à mes enfants. Il a ajouté que pour l¹instant, l¹important était que je dorme. J¹ai enfin été emmenée dans ma cellule de prison avec Chiara et Diana : une cellule de 3 lits métalliques, avec un robinet d¹où coulait un filet d¹eau et un WC " sec ". j¹ai fait mon lit, je me suis allongée ; les pensées, l¹attente, la lumière permanente, les appels dans le couloir, l¹angoisse, la faim ŠImpossible de dormir. Il devait être 16 H.. Diana pleurait sans arrêt, elle était très fragile, Chiara semblait plus solide, mais j¹ai vite vu beaucoup de dégâts sur son corps : toujours ces multiples traces de matraques longues et noires, des bleus, des hématomes. On a commencé à se réconforter, à panser nos plaies, à se masser. Le régime carcéral était " normal " bien que les gardiens se livraient à un petit jeu psychologique très pénible : ils promettaient, en fin de poste, des visites d¹avocats, nous demandaient de nous préparer à sortir de la cellule pour téléphoner à nos familles. La joie et l¹espoir nous faisaient danser la ronde toutes les trois et on entendait les mêmes réactions dans les deux cellules voisines. Puis la relève de gardiens avait lieu et on nous annonçait qu¹il n¹en avait jamais été question. Cette pratique a duré tout le temps à Alessandria, et c¹est semble-t-il le régime carcéral normalŠ Notre premier repas a été servi vers 18H30 soit 30 heures après mon arrestation. On nous a également remis des formulaires de télégrammes, en nous disant que celles qui avaient de l¹argent pouvaient envoyer un message de suite et qu¹il serait à destination dans la soirée. Ce que nous avons fait. Nous avons su par la suite qu¹aucun coup de fil n¹a été passé, aucun télégramme n¹est parti avant l¹annonce de notre libération. PRISON D¹ALESSANDRIA DIMANCHE Le dimanche nous avons eu deux promenades dans la cour de la prison, le matin et l¹après-midi. À notre première rencontre du matin, toutes les 9, nous avons vite compris que nous sortions du même enfer et que nous avions subi le même sort durant la nuit précédente. De toute évidence les degrés de gravité de blessure étaient liés à l¹apparence physique : celles qui portaient un tatouage, ou un percing, ou un vêtement noir, ou des dreadlocks avaient plus de plaies et de traces que les autres. Dès la première rencontre, j¹ai proposé que nous rédigions au plus vite nos témoignages afin de les faire passer à la première personne venant de l¹extérieur (avocat, personnel soignant ou magistratŠ) Et que l¹une d¹entre nous rencontrerait. Nous n¹avions en effet aucune idée du temps que nous passerions en prison. Je leur ai dit qu¹il était urgent de faire savoir à l¹extérieur ce qu¹il s¹ était passé la nuit du 20 juillet. L¹après-midi déjà, on me remettait discrètement 3 premiers témoignages. Nous avons eu deux visites ; un responsable socialiste et un magistrat italien qui ont tenté de nous rassurer sans rien nous dire vraiment, et qui sont restés en tout 10 minutes chacun. Très peu de nouvelles de l¹extérieur, très peu de précisions sur notre sort. Ils nous ont annoncé la mort de Carlo Giulani. Ils étaient l¹un comme l¹autre escortés de policiers et militaires. Nous n¹avons pas pu parler des traitements subis, de nos blessures, ni remettre les premiers témoignages que j¹avais dans mon slip. A 11H30, on nous a servi une assiette remplie de riz, de verdure, d¹une tranche de melon par-dessus et d¹une couche de brocoli supplémentaire en nous précisant qu¹il n¹y aurait rien d¹autre de la journée.

JOURNÉE DE LUNDI : AVOCATS, JUGE ET LIBÉRATION

On a su dès la première heure que nous serions reçues par un juge dans la journée et que nous verrions sûrement des avocats. Pas plus de précisions sur l¹heure, le lieu, les conséquencesŠPromenade du matin, je reçois discrètement 2 témoignages de plus. Ensuite, c¹est l¹attente. On est venu nous chercher peut-être vers 10 ou 11 heures. Pas de petit-déjeuner. Rien dans le ventre depuis la veille 11H. Nous avons été menottées, transportées en fourgon cellulaire dans une autre ville, à une heure environ d¹Alessandria, remises toutes ensembles dans une cellule minuscule avec toilette mais pas d¹eau. Encore attendre. Dans le courant des heures qui ont suivi, nous sommes passées une par une devant un avocat, puis une juge. Je pense que nous avons toutes décrit d¹abord ce qui s¹était passé la nuit du 20 juillet, bien que nous étions entendu pour nos faits et gestes. Les avocats nous ont fortement conseillé de témoigner en détail de ces évènements durant l¹entretien avec la Juge. Ce que j¹ai fait pour ma part d¹une façon floue et peu précise en réalité parce que je n¹avais pas dormi depuis 4 nuits, parce que j¹étais épuisée, affamée et surtout parce que le couloir et l¹établissement étaient remplis de militaires ressemblant à ceux qui avaient " tabassé " la nuit du 20 juillet, et que je n¹avais aucune confiance en qui que ce soit. À la fin de l¹entretien, on m¹a annoncée que j¹étais libre. Moi j¹ai entendu " le cauchemar est fini ". Naïvement, en sortant du bureau du juge, j¹ai marché vers une sortie. Un militaire m¹a empoignée et dirigée vers la cellule, je me suis tournée vers mes avocats, l¹un deux m¹a rassuré, m¹a parlé de procédure, de quelques corvées administratives qui ne seraient plus très longues. Il devait être 14 heures. Retour en cellule avec les autres filles pour d¹autres heures d¹attente. À un moment, la porte de la cellule a été ouverte pour l¹une de nous et nous avons vu passer des civils, avec attaché-case, cravate, etc. Dans un même élan, nous leur avons crié à l¹aide, hurlant que nous avions faim et soif. Une demi-heure plus tard, on nous a remit un carton remplis de sandwiches au fromage, et l¹on nous a fait sortir une par une pour boire à un robinet. Dans l¹après-midi, la moitié d¹entre nous dont moi, avons été transportées dans un fourgon, sans les menottes, jusqu¹à la prison d¹Alessandria. On nous a remises dans nos cellules respectives en nous demandant de plier nos affaires et de nettoyer. Une fois les préparatifs terminés, nous avons été placées dans la cellule à la grande fenêtre où nous étions restées la journée du samedi. Chiara s¹impatientait et avant d¹entrer dans la cellule, elle a demandé " je croyais que nous étions libres, pourquoi nous enfermer encore ? ". Le policier lui a répondu de se calmer et qu¹il y en avait pour 10 mn. Il devait être 17H. Les autres filles sont arrivées peu de temps après. Nous attendions toujours dans cette cellule sans toilettes, ni eau, ni chaise. Libres. Vers 19h, Chiara a commencé à s¹inquiéter car sa remise en liberté était sous la condition qu¹elle se présente tous les jours au commissariat de Gênes avant 20h à compter du jour même. Elle a appelé l¹agent durant de longues minutes. Lorsqu¹il s¹est présenté, elle lui a expliqué, qu¹elle devait prendre un train pour gênes. Il semblait très énervé et a gueulé en italien pendant 5 mn. Chiara a répondu en gueulant également. Je ne comprenais que quelques mots, elle parlait de liberté et d¹innocence, elle parlait de droit. Il a fait ouvrir la grille et s¹est jeté sur elle en la frappant. Il l¹a menacé, son visage tout contre celui de Chiara en la tenant par le col et la plaquant contre le mur. J¹ai compris qu¹il disait être le chef ici et qu¹elle n¹était rien. Elle s¹est redressée, fière et lui a signifié qu¹elle était libre et qu¹elle n¹avait pas peur. D¹un coup, il s¹est reculé, a crié des ordres et des policiers sont entrés dans la cellule et nous ont toutes menottées. Nous avons été poussées jusqu¹à nos anciennes cellules et ré-enfermées dedans. Pour ma part, j¹ai craqué nerveusement et je me suis écroulée en larmes. J¹entendais les autres pleurer également dans les cellules voisines. Ils sont venus chercher Chiara sans ménagement quelques minutes plus tard. Puis quand la nuit a commencé à tomber, ils sont venus nous chercher les unes après les autres et nous avons effectué le parcours administratif de sortie. Remise des affaires personnelles, signature de papiers etc. Dans mes affaires, il n¹y avait plus mon argent, ou quelques centimes italiens, et à la place, j¹avais un reçu de la poste d¹Alessandria pour un télégramme d¹une valeur de 200 francs environ, parti le jour même à 14H. Il s¹agissait du télégramme que j¹avais écrit à ma famille, annonçant mon arrestation, donnant de mes nouvelles, et demandant un avocat et que j¹avais rédigé le samedi à mon arrivée. Nous avons été libérées, il était 22 heures.

Valérie VIE (août 2001)

 

Un témoignage pas comme les autres sur le sommet de Gènes d'une secrétaire d'ATTAC