Proces d'Ekaitza 10 000 x 2 pour le dessinateur et le directeur de publication requis par le proc'
Verdict le 8/01/02
C¹est en cet après-midi du 4 décembre qu¹étaient convoqués Allende Socarros et le dessinateur Guezmer pour «apologie du terrorisme», au sujet du dessin paru dans la semaine du 11 septembre dans nos colones. Cette mise en accusation avait été suggérée par le préfet des Pyrénées-Atlantiques, André Viau qui n¹aura pas daigné se présenter au cours d¹un procès où l¹accusation a continuellement marché sur des ¦ufs. Un «grand» absent C¹est aux environs de 14 h 30 qu¹a débuté la séance dans une salle pleine avec, dès le départ, une première anecdote. En effet, deux personnes avaient été citées par la défense : José Arocena, journaliste et syndicaliste, ainsi que le préfet André Viau. Par un courrier, ce dernier a en fait expliqué que sa " suggestion «n¹intervenait en aucun cas dans le cadre de ses fonctions», mais que c¹était «le lecteur du journal Ekaitza» qui avait pris cette initiative ! Après que les avocats de la défense aient rappelé que le tribunal possédait des recours pour appeler ce témoin à la barre, les deux accusés furent présentés aux juges. Quand on juge les intentions Commença donc le jeu des questions. Tour à tour, les deux accusés répondirent aux questions du juge. Des questions qui auront principalement porté sur les conditions d¹élaboration du dessin ainsi que son appréciation par son auteur. Ce dernier se défendit d¹avoir voulu glorifier le terrorisme, aquiesçant que ce dessin n¹était sûrement pas le meilleur de sa production et que la décision de sa publication s¹était opérée dans l¹urgence. Il rappela aussi la valeur symbolique que recouvrait cet événement, à l¹heure où aucun bilan des victimes n¹avait encore été dressé. Allende Socarros, pour sa part, rappela son absence durant les faits mais déclara de nouveau qu¹il assumait totalement sa responsabilité juridique. Il entreprit en suite de dénoncer le fait que cette attaque en justice relevait plus d¹une action politique que d¹un véritable intérêt juridique mais fut aussitôt interrompu par la présidente du tribunal : «On est hors sujet.» La liberté d¹expression Ce fut ensuite au tour de José Arocena de se présenter à la barre. Ce journaliste à Radio France et l¹agence de presse Efe (équivalent de l¹AFP en Espagne), responsable au sein d¹un important syndicat de journalistes, fit valoir le principe de la liberté d¹expression comme fondement de la démocratie. Cet attachement à ce droit fondamental est, de son avis, beaucoup plus important à défendre «quand ça va mal». Il dénonça ensuite l¹établissement de «la pensée unique» dans l¹Etat espagnol par de semblables mesures qui mettent en cause la démocratie car «s¹il y a une seule sorte d¹idée, il n¹y a plus de démocratie». Il proposa ensuite une comparaison, toute proportion gardée, entre les lettres explosives que recevaient les journalistes espagnols et la mise en accusation liberticide d¹Ekaitza, qui ont en commun de mettre en péril la liberté d¹expression. Il termina en expliquant que cette mise en accusation avait beaucoup étonné dans le milieu journalistique, tant sur son caractère inoffensif au regard de nombreuses parutions plus problématiques, que sur le fait que ce dessin reste un «petit dessin» dans un hebdomadaire local. Conclusion C¹est une plaidoirie que nous qualifierons sobrement de «difficile» où, entre autres choses des conseils furent délivrés aux accusés en ce qui concerne ce qu¹il est opportun de faire ou pas, qui prit la suite du procès. Le procureur de la République, qui ne semblait même pas se convaincre lui-même, termina par un «On ne peut pas faire de l¹humour à chaud sur des évènements engageant des victimes», avant de requérir 10.000 francs d¹amende par accusé. Après que les avocats de la défense se soient eux aussi exprimés, relevant l¹inconsistance du dossier d¹abord, puis l¹attaque faite une fois de plus à un média abertzale (voir extraits des déclarations), la sentence fut reportée au mardi 8 janvier à 14 h. A bon entendeur salut.
Ttittof
Un réquisitoire creux et hypocrite C¹est un procureur bien embarrassé et sans grande conviction qui nous a livré, d¹un ton las et monotone, un réquisitoire creux et hypocrite. A la décharge de notre malheureux procureur, il faut reconnaître que le préfet, qui s¹est défilé en ne paraissant pas alors qu¹il était cité comme témoin, lui avait laissé le sale boulot de défendre une cause injustifiable, attaquer la liberté de presse d¹un journal politique abertzale, sur le prétexte fallacieux d¹apologie du terrorisme. Le réquisitoire ne pouvait donc qu¹être mauvais et développer des argument hypocrites. Hypocrisie donc quand le procureur, qui a totalement éludé la dimension politique de ce procès, a commencé sur le registre de l¹émotion, en affirmant que le dessin était extrêmement grave parce que le nombre des victimes des attentats du 11 septembre n¹avait jamais été égalé. De qui se moque-t-on ? Ce nombre est non seulement égalé mais malheureusement dépassé chaque jour par les attaques terroristes constantes de la politique américaine. Faut-il encore répéter le bombardement incessant de l¹Irak et le blocus qui cause aujourd¹hui près d¹un million de victimes innocentes qui n¹ont rien à voir avec la politique de Saddam Hussein ? Faut-il encore rappeler les 10 000 victimes quotidiennes du SIDA, victimes en grande partie du refus des firmes pharmaceutiques américaines de laisser produire à bas prix les médicaments qui permettent de lutter contre l¹épidémie ? Faut-il encore dénoncer les crimes perpétrés chaque jour en Palestine par les pions de l¹impérialisme américain ? Mais on le sait, l¹émotion des représentants de la République est sélective. Hypocrisie aussi quand le procureur déclare, sans peur du ridicule, que le dessin d¹Ekaitza avait plus de force que l¹article du Monde, de Jean Baudrillart, qui s¹exprimait dans les mêmes termes que le dessin incriminé : «Nous avons tous rêvé de cet événement». Comme la phrase se trouvait au milieu d¹un long article, (si long que le procureur n¹avait pas pu le photocopier sur une page), l¹affirmation du journaliste du Monde avait beaucoup moins de résonance. C¹est vraiment prendre les lecteurs pour des imbéciles. Enfin nous avons quand même été heureux d¹apprendre qu¹Ekaitza faisait plus fort que le Monde. Hypocrisie encore quand le procureur se met à faire la morale. Ekaitza avait commis «un pêché contre l¹humanité» pour ne pas avoir dit un mot sur les morts du World Trade Center. Non seulement notre procureur confond confessionnal et tribunal, mais surtout, Ekaitza passe son temps à dénoncer les morts, victimes de par le monde de la politique impérialiste, du capitalisme, des bavures policières, de la politique carcérale ! Hypocrisie enfin quand le procureur affirme, sans rire, qu¹en aucun cas il ne souhaiterait censurer la presse (vous vous rendez compte si nous avions été d¹odieux censeurs, nous aurions pu saisir l¹édition du journal !), mais qu¹il réclamait 20 000 francs d¹amende contre les deux prévenus. Quel moyen plus hypocrite de censurer un petit journal que de l¹asphyxier avec des amendes exorbitantes (car 20 000 francs d¹amende constituerait «une décision mesurée»). Si il y a apologie du terrorisme (puisque c¹est le prétexte de l¹accusation), en dehors des dessins bien plus cyniques et des caricatures violentes de Canal Plus (qui n¹ont pas été du tout inquiétés par notre très démocrate préfet, mais on ne peut pas s¹occuper de tout), c¹est bien dans la presse quotidienne, écrite et audiovisuelle, qui voudrait nous faire croire, par leurs reportages édulcorés et banalisés, que les agressions américaines ne seraient que des actes de légitime défense. Heureusement les deux plaidoiries étaient d¹un tout autre niveau et replaçaient le procès dans son cadre politique, comme l¹affirmait tout au début l¹ancien directeur de publication : «C¹est un procès contre la presse abertzale».
Fantxoa Fleury