Pour parler franchement, votre caca m¹intéresseŠ..

Une directive européenne, transposée dans le droit français contraint toutes les communes à être équipée d¹un système d¹assainissement collectif d¹ici à 2004. Les villes en sont pourvues, par contre les communes rurales sont habituellement sous le régime de l¹assainissement individuel. Nous sommes en régime de technodiversité. Sur 36 000 communes en France, 24 000 ont moins de deux mille habitants et ne sont généralement pas équipées. Une grande partie de la population est ³ assainie ² collectivement, mais certainement pas la plus grande partie des communes. Il y a donc une myriade de chantiers en perspective. Avec encore quelques millions de clients potentiels pour les ³ assainisseurs ²..

Les trois grasses, Bouyghes, Vivendi, et Suez-lyonnaise des Eaux, qui possèdent la quasi totalité des entreprises du secteur, visent à s¹attacher cette clientèle de façon définitive tout en renforçant leur emprise sur celle qu¹elles ont déjà captée. Elles visent la monotechnique, pour ne pas dire le monopole. Pour faire simple, disons que les systèmes de gestion et traitement des eaux usées se composent d¹un réseau de collecte, d¹ une usine de transformation et de diverses filières de rejets des sous-produits. Dans de nombreuses petites communes, là où le ³ tout-à-l¹égoût ² n¹existe pas, les trois grasses vont pouvoir enterrer des milliers de km de tube en béton, construire des usines de transformation, et vendre des services de digestion des rejets. Si l¹on prend l¹agglomération de Toulouse, le réseau emporte toutes les eaux issues de vaisselle, WC, douches, ou lessives des 550 000 habitants raccordés, vers Ginestous. Le réseau est dit séparatif parce que les eaux de pluie ne sont pas mélangées avec le reste. Au bout du réseau, un système, nommé ³ boues activées ², apporte de l¹oxygène par brassage de ces effluents avec l¹air, sèche plus ou moins les matières en suspension pour en faire des boues liquides, pâteuses, granulées ou compostées et selon les intérêts de Vivendi, dirige ces matières vers des décharges, des zones agricoles ou des usines d'incinération. Il convient de noter qu¹aucune de ces trois grasses n¹a jamais fabriqué un réseau de grande ville. Elles ont acquis leur outil de profit tout prêt, dans la décennie 80, à l¹époque des grandes privatisations. Mais le maître d¹ouvrage de ces très importants investissements avait été la collectivité publique. Suite à ces mises en concession, dont les conditions financières ont pu par exemple mener le maire de Grenoble en prison, les grandes compagnies ont parfois consenti le sacrifice d¹un nouvel investissement pour une usine de retraitement ou pour une ³ amélioration ² du réseau, histoire de montrer l¹étendue de leur souci d¹un service de qualité. Pour ce qui est des rejets, la solution a été très souvent d¹en confier la digestion à quelqu¹un d¹autre, pour des raisons d¹intérêt financier évident. En effet, construire un réseau en entier ou accumuler, détruire ou recycler des grandes masses de matières, représente des coûts d¹immobilisation importants qu¹il vaut mieux faire porter à d¹autres, surtout dans une situation réglementaire instable, liée à une sensibilité environnementale grandissante parmi les usagers. De plus une décharge n¹offre guère de justificatif idéologique de profit. Les effluents recueillis dans les réseaux contiennent des éléments dont certains sont précieux, comme des phosphores, azotes, ou carbones qui peuvent constituer la base d¹un fertilisant des sols en agriculture, d¹autres tout aussi précieux comme le chrome, le nickel ou l¹argent peuvent être réemployés dans des biens industriels, d¹autres beaucoup moins précieux comme les dérivés du pétrole, très stables, ne présentent que des inconvénients pour l¹agriculture et pour l¹industrie. Evidemment, les métaux lourds, intéressants pour l¹industrie, sont un sérieux toxique pour l¹agriculture. Et réciproquement. Le problème majeur de l¹assainissement collectif réside donc dans le mixage de choses diverses dans la collecte et dans la difficulté de la séparation pendant le traitement. Vivendi met en ¦uvre son récent savoir faire, à base essentiellement d¹électricité, pour faire tourner des aérateurs dans des bassins et sécher ce qui en sort. Mais Vivendi se garde bien de tenter de trier ces différentes catégories d¹éléments. Consommation d¹énergie, consommation d¹espace lors de l¹épandage ou la mise en décharge, consommation d¹atmosphère lors du brassage et de l¹incinération, tout le savoir faire du système réside là-dedans . L¹arrivée de l¹eau courante dans les appartements, et la nécessité de l¹assainissement date d¹un peu plus d¹un siècle. Le service public y a longtemps été le maître d¹ouvrage et le maître d¹¦uvre. Et ce n¹est guère que depuis deux ou trois décennies que le mode de gestion libéral et profitable a mis la main dessus. L¹expérience accumulée par le service public a vite su être capitalisé par la rente privée. Lors de la facturation à l¹usager client le coût du retraitement est généralement compris entre des deux tiers et les trois quarts du prix du mètre cube d¹eau. Il y a donc un chiffre d¹affaire potentiel non négligeable dans ce secteur qui provoque une ruée vers l¹or brun des trois grasses. Il serait sans doute exagéré de parler d¹entente. Lors des appels d¹offre pour de l¹assainissement, il est fréquent que les trois ou quatre entreprises qui répondent, soient des filiales concurrentes à une, deux ou trois des trois grasses. Par exemple, telle société appartient à Bouyghes et à Suez-lyonnaise, telle autre à Vivendi et à Bouyghes et la troisième à Suez-lyonnaise à Bouyghes et à Vivendi. Il est fréquent de constater qu¹ici telle société est bien moins chère que ses soi-disant concurrentes, alors que là-bas c¹est une autre qui va être bien moins chère. Ne parlons pas des menus services particuliers rendus par ces entreprises aux décideurs qui font porter un doute sur la naïveté des élus en ce domaine. Il est fréquent qu¹elles proposent le même produit, mais ce n¹est pas étonnant, vu qu¹en amont du bureau d¹étude, les informations qui servent de justification ³ objective ² à l¹étude sont fournies par les trois grasses, les laboratoires d¹analyse appartenant eux aussi à la même galaxie marchande. Changer cet état de chose amènerait des ³ révisions douloureuses ² pour les habitudes des usagers : séparer les effluents dès la collecte, utiliser des produits nettoyants moins nocifs pour l¹environnement, se servir de toilettes sèches. Cela amènerait aussi des ³ révisions douloureuses ² pour les grandes compagnies qui devraient investir dans des réseaux séparés, des unités de retraitement spécifiques par types de rejet, et des filières de réemploi pour les métaux, le biogaz, ou les boues agricoles sans toxiques. Il faudrait donc augmenter considérablement la gêne et le prix pour les usagers sans amélioration du profit puisque les immobilisations, la recherche et le développement auraient engouffré pas mal de moyens financiers. En effet, dans le secteur de la libre entreprise, l¹on aime être bien rémunéré pour les capitaux que l¹on engage, mais si, sans engagement de capital, il est possible d¹être autant rémunéré, on est d¹accord aussi. Or il existe d¹autres systèmes, au moins pour les collectivités de moins de trois mille habitants. En fait, ce qui permet de fonctionner à un système de boues activées, ce n¹est pas la machine ou l¹électricité qu¹elle consomme, c¹est la capacité de la matière vivante qui y réside à continuer son processus biologique. C¹est ce que fait sans machine et avec le seul soutien de l¹énergie solaire le lagunage ou le filtre planté de roseaux. En plus du lagunage, étendue d¹eau peu profonde à l¹air libre qui utilise l¹oxygène sans brassage mécanique et les ultra-violets solaires sans lampes, il existe quelques systèmes sans consommation d¹énergie et avec un plus faible impact sur l¹environnement, dont un est particulièrement efficace. Il s¹agit des ³ filtres plantés de roseaux ². La collecte peut être collective, mais l¹usine de traitement est une espèce de piscine sans eau apparente, pleine de graviers dans laquelle sont plantés des roseaux qui digèrent les effluents. Les roseaux utilisent l¹apport organique pour leur croissance. Les métaux lourds et les dérivés du pétrole sont capturés dans les roseaux et dans le compost sur place. Il suffit de faucher chaque année, et faire des palissades, des canisses, des piquets de tomates, des cabanes ou des cannes à pêche et il faut aussi tous les dix ans ramasser le compost qui s¹est formé à la surface du gravier, pour l¹étendre par exemple sur les massifs fleuris des ronds points . Avec les filtres plantés, la production de compost est vingt fois moindre que ce qui est produit par les boues activées. Il est aisé de comprendre pourquoi Bouyghes, Suez et Vivendi n¹ont pas beaucoup d¹affection pour ce principe. Pas de consommation d¹énergie, pas de ³ haute technologie ², pas de rejet, comment voulez-vous justifier des dividendes ? Les coûts d¹installation sont équivalents parce que l¹emprise foncière supérieure des filtres plantés absorbe l¹économie réalisée par l¹absence de machine. Mais le coût de traitement est largement divisé par deux, puisqu¹il n¹y a pas de consommation électrique ni d¹usure de machine, et qu¹il peut être assuré par un employé communal. Il n¹y a aucune nuisance olfactive ou sonore, pas de trous dans la couche d¹ozone, pas d¹effet de serre, le coût énergétique incorporé est bien inférieur, le site peut être paysagé, toute chose que les boues activées ne savent pas pratiquer. Et en toute fin de filière, les kilomètres de camion sont aussi considérablement réduits puisque la production de rejet est dérisoire et gérée sur place. La qualité des rejets dépend là aussi du soin avec lequel les usagers veillent à ne pas mélanger des métaux lourds, des produits dérivés du pétrole, et des éléments organiques. En tout état de cause, à effluents semblables, les problèmes de qualité des rejets seront semblables quelque soient les techniques employées.

Au bilan, ³ y a pas photo². D¹un côté une solution respectueuse de l¹environnement naturel et culturel, peu onéreuse, qui marchera tant que le soleil existera et qui freine la prolifération des empires financiers ! De l¹autre, une solution techno goinfre en énergie, qui se répand en métastase sociale et qui consolide les puissants ! Et pourtant c¹est très certainement le système des boues activées qui va être implanté partout. Etonnant, non ? Il y a sans doute beaucoup à dire sur l¹idéologie des ingénieurs grandes écoles, leur confrérie, leur fascination pour les moteurs, et l¹osmose entre public et privé. Beaucoup aussi sur les démarcheurs représentant les lobbies qui véhiculent des ³ études démontrant le bien fondé économique de leur système² dans les communes, les services de l¹administration territoriale, les bureaux d¹étude ou les revues spécialisées. Beaucoup encore sur la mansuétude avec laquelle ces administrations jugent les soi-disant petits défauts de fonctionnement d¹une technologie qui, en réalité, est une imposture et dont on a largement dépassé les limites. Beaucoup à dire enfin sur l¹organisation générale de cette société qui ne veut pas voir qu¹elle produit beaucoup de merde. Partout, il faudra évidemment se poser de plus nombreuses questions sur la quantité et la composition des déchets solides, liquides ou gazeux produits. Mais déjà dans la situation actuelle, il est possible d¹imaginer la suite des aventures des nos cacas des villes et des champs.

L¹agglomération toulousaine produit des boues compostés ou stabilisées à la chaux que Vivendi répand dans des exploitations agricoles de quatre-vingt communes de la lointaine banlieue. Eventuellement elle en dépose un peu à la décharge. Ou elle attend comme en juin 2000 que la Garonne déborde et nettoie son aire de stockage en même temps que le camp des gitans. Mais la prolifération, grâce à l¹Europe et aux trois grasses, des réseaux de collecte et des systèmes de boues activées dans les petites communes, proches ou lointaines, signifie un accroissement des quantités de boues à traiter. Vivendi proposera vraisemblablement ses services pour ce travail, d¹ou la nécessité pour elle d¹agrandir son unité de retraitement. Malheureusement les voisins de Ginestous, des champs épandus, des décharges ou les riverains aval de la Garonne acceptent de moins en moins de se voir confier les rejets, ou d¹être les poubelles de Toulouse. De ce conflit d¹intérêt va naître la solution d¹avenir. De deux choses l¹une : ou bien les différents riverains finiront de guerre lasse par accepter les boues urbaines puisqu¹elles contiennent aussi les leurs, ou bien ils réussiront à se faire entendre et il faudra trouver une autre solution pour les rejets. Dans le premier cas, Vivendi élargira sa clientèle à la région, augmentera sa capacité de retraitement, et deviendra l¹opérateur unique pour un à deux millions d¹habitants. Dans le deuxième cas, Vivendi proposera au département d¹investir dans une super technologie d¹incinération magique, qui brûle tout et ne rejette rien, qui vient d¹être mise au point par justement Vivendi et qui résoudra pour longtemps la question du mécontentement des riverains et des rejets solides, liquides ou pâteux en faisant partir en fumées invisibles tous les inconvénients de la filière des boues activées. Dans les deux cas, accroissement simple de la capacité de traitement ou accroissement et innovation rêvée, Vivendi n¹a pas de souci à se faire. En effet quand un système d¹assainissement passe devant notre porte, la loi nous oblige à nous y raccorder et nous aurons de la difficulté à choisir une autre compagnie d'assainissement. Les citoyens contribuables usagers seront des parfaits clients. Très demandeurs du service, tenus en dépendance, sans alternative, ils n¹auront aucune possibilité d¹échapper à l¹Oeuvre Vivendi. Vous avez dit stratégie de l¹araignée ?

Albert Zarma

Témoignage d'un intérimaire à côté du site 29/09

AZF clone TCHERNOBIL

Photos à l'intérieur du site pétrochimique d'AZF de Toulouse,

24 heures aprés l'explosion.
Photos inédites de François Riviére