Sans trop de prétention, cet article a pour objectif de mieux comprendre comment en 15 ans le FN a pu, de groupuscule nazi
sans stratégie, devenir un parti fasciste structuré et conséquent
qui porte en lui les options les plus dures du capitalisme
à une sortie de crise : le fascisme.

Loin d'être exhaustif, tant les chemins empruntés par les nazis français sont multiples,ce ne peut être qu'une vision partielle,
qu'on espère complétée par vos expériences.
Ce n'est qu'un début, le débat continue...

 

81/83 L'INJECTION DU POISON RACISTE

Aujourd'hui, le FN n'est plus le groupuscule sans programme crédible des années 70. A la fin de ces mêmes années, l'Extrême-Droite s'interroge sur sa capacité à s'imposer sur le devant de la scène. Certains du PNFE rejoindront le RPR, pensant infiltrer un parti "de masse" de l'intérieur. D'autres, à la lumière de la crise qui pointe son nez, rêvent d'un grand parti de masse fasciste. Pour cela; quelques travaux de rénovation et de ravalement s'imposent..

Au départ, sans cadres politiques, ni programme, le FN a su rapidement unifier toute l'Extrême-Droite derrière lui, ayant su imposer la "crédibilité" de Le Pen à médiatiser la haine raciale, ce qui ne va pas tarder à porter ses fruits. Assassinats de jeunes beurs dans les cités , violences et crimes policiers, campagnes de presse racistes se succèdent tandis que son score électoral augmente, aidé par la collusion de la classe politique à son égard, à commencer par le P.S. et Tonton qui voient là une bonne occasion de diviser un peu plus la droite et de reporter leurs responsabilités sur des boucs-émissaires faciles. Tout le monde n'a plus que le "problème de l'immigration" à la bouche; et pendant que le P.S. capitule à la gestion capitaliste qu'on lui demande, le FN avance un peu plus; créant la surprise au lendemain des Européennes de 83.

Tandis que la précarité et la flexibilité font des ravages, la montée en puissance des affaires de corruption alliée aux bénéfices de plus en plus importants des marchés boursiers, augmente les sentiments de malaise à l'égard d'un parlement où l'absentéisme et les mallettes de billets ont force de loi.

A la crise économique vient se rajouter la crise politique qui se pose en crise de direction, tant à droite qu'à gauche, et dont le FN profite à plein pot. L'autoroute qu'il a devant lui est immense, et la concurrence est nulle. Son objectif de banalisation est atteint très rapidement; en moins de 5 ans, ses idées ont été reprises par toute la classe politique, le FN est accueilli à bras ouverts dans les médias, ses idées ont gangrenées toute la société, le P.S. a abandonné le droit de vote des immigrés et a même pris des mesures racistes.

86 LA LEGITIMATION PARLEMENTAIRE

Quand, en 86, après des alliances locales avec la droite, le FN rentre triomphalement au Parlement, il a déjà grignoté une partie de l'appareil d'Etat, qui reprend ses thèses. Pasqua et Pandraud servent de charnière entre l'Extrême-Droite et la droite traditionnelle, relayés par des alliances locales et des passerelles de plus en plus nombreuses entre l'Extrême-Droite et la droite. Les lois Pasqua, la réforme du Code de la nationalité sont autant de gages donnés au FN. Mais malgré tout ça, le décalage est encore grand entre les scores engrangés par le FN et la réalité "militante" du Parti, qui reste pour l'instant un parti électoraliste, avançant "masqué", cherchant une légitimité démocratique qu'il est en train de trouver.

Pour la première fois en 86, le FN commence à occuper le terrain de rue (1er Mai, manifs peine de mort....) et chercher à atteindre un électorat toujours plus populaire (restos du coeur pour les français...). La politique raciste de la droite, alliée aux attentats, et à la mise en place de ce qui sera plus tard Vigipirate (en 1991), et de son climat répressif; l'absorbe temporairement et en Mai 88, l'arrivée d'un gouvernement de "gauche" lui permet une transformation en profondeur en parti national-populiste, structuré de type poujadiste.

Entre temps, le FN s'est trouvé un programme politique crédible dans les couches populaires, et ne s'appuie plus seulement sur la division raciste. Il s'est aussi trouvé une stratégie sur le long terme :

Percée dans la police et l'armée (FPIP, services secrets...), dans les milieux scientifiques et universitaires, percée continue dans l'appareil d'Etat (élus aux CA des organismes publics, HLM, administrations, mairies, retrouvant là leurs anciens collègues ayant rejoins le RPR il y'a 10 ans. A l'époque, il n'est pas encore question de "syndicats professionnels" mais de "cercles" organisés par corporations, qui viennent s'ajouter à une nébuleuse du FN qui compte, outre les groupuscules "amis", des centaines d'associations et de réseaux divers : Anti IVG; Parlementaires de l'ordre moral (Christine Boutin par ex.), Sectes (Nouvelle Acropole, Moon), Réseaux paramilitaires de skinheads, etc... On comprend mieux aujourd'hui cette stratégie du FN, qui a visé à unifier des composantes les plus antagonistes de l'Extrême-Droite (intégristes cathos/païens, pro-Croates/ pro-Serbes, royalistes/national-socialiste etc...) et qui y a réussi ! Cela lui a permi d'étendre ses ramifications très loin. Ca porte une lumière nouvelle sur certaines stratégies de groupuscules d'Extrême-Droite type Nouvelle Résistance qui visaient à prendre le contrôle de luttes écolos, anti-impérialistes (voir &laqno;La Gangrène Nationaliste» InfoSuds N°9)...

88/91 AGITATION SOUS LA "GÔCHE"

Après une phase de "légitimation" le FN rentre dans une phase d'offensive alors qu'il a perdu ses députés au Parlement, tandis que le gouvernement Rocard manque tomber après les affaires d'auto-amnistie des députés. C'est l'avalanche de provocs de Le Pen: l'Heure de Vérité et son "détail", &laqno;Durafour Crématoire» préparent le terrain pour Carpentras. Car c'est bien de provocation qu'il s'agit et non pas de "dérapages", comme veut bien le dire complaisamment la presse. Et l'on s'aperçoit que quand Le Pen montre sa vraie identité fasciste, il n'en redescend pas pour autant, au contraire, ça le renforce dans son rôle de "seul contre tous". Quelle que soit l'ignominie (révélation de la torture de Le Pen en Algérie par Libé, profanation de Carpentras etc...) c'est bien d'une stratégie qu'il s'agit.

Toute la classe politique s'engouffre dans cette stratégie et essaie de coller à qui mieux-mieux aux thèses du FN. Les gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy prendront différentes mesures racistes (Loi Joxe 08/91, Circulaire Marchand 10/91, Loi Sapin etc...) et font, avec la droite de la surenchère sur le FN. C'est "la France ne peut accueillir toute la misère du monde" de Rocard, les Charters de Cresson, "le bruit et l'odeur" de Chirac, les déclarations de Giscard...

91 SEUL DANS LE GOLFE...

La guerre du Golfe, en institutionnalisant le racisme anti-arabe, laisse le FN un peu isolé dans son soutien à Saddam Hussein (avec des dissensions internes dues à des nationalistes pro-armée), même s'il tente d'infiltrer le mouvement anti-guerre. Faut dire que l'Etat et les médias font son boulot à sa place, en instaurant un mini Etat d'Urgence. Vigipirate amène dans la rue l'armée et la police qui mènent des contrôles au faciès. Le pouvoir sent le fascisme à plein nez, ce qui laisse le FN un peu sur la touche.

92 MA TRIQUE

Le référendum de 92 sur Maastricht donne une formidable occasion au FN de se démarquer de la classe politique qui est, du P.S. au RPR, pour l'Europe. En l'absence d'une campagne pour un "NON" de gauche anticapitaliste, le FN est seul (avec le P.C.) à porter l'option du NON, entretenant le flou sur les raisons du NON, qui apparaît alors plutôt nationaliste. Le OUI l'emporte mais il laisse derrière lui une fracture ouverte sur un sentiment anti-Maastricht très partagé. Beaucoup de gens iront voter OUI juste pour ne pas voter NON avec le FN. Mais c'est lui qui tire les marrons du feu et capitalise le NON...

93/94 BALLAMOU

Pendant ce temps, les affaires continuent et se succèdent à un rythme effréné, malgré les tentatives gouvernementales de les étouffer. Le P.S. s'englue dans les magouilles URBA et autres et s'attend en toute légitimité à perdre les élections de 93, ce qu'il fait, laissant la place à Balladur. Ce dernier continue sur la voie de ses prédécesseurs en faisant voter d'autres lois (Pasqua de 93, Véil 94 , Code de la nationalité...). La mollesse de Ballamou face aux enjeux économiques, ne peut que renforcer le FN, qui continue son agitation sur l'immigration, l'insécurité etc...Le FN s'est trouvé une stratégie sur le long terme et continue à se structurer localement et nationalement. Sa conquête du monde du travail a commencé et il commence à avancer ses billes pour la création de syndicats. Il occupe aussi la rue, comme à Marseille après le meurtre d'un jeune ou à Carpentras où il demande "réparation"... Il répond du tac au tac aux faits divers de l'actualité et chaque meurtre voit le FN demander le "rétablissement de la peine de mort". Il gagne de plus en plus de terrain dans les quartiers populaires des métropoles, chez les chômeurs et les salariés. Il est le seul parti à dénoncer la fracture sociale là où elle est.

95 DUEL AU SOMMET

La Présidentielle de 95 est l'occasion pour le FN de mener sa campagne nationale. Après la pénétration des offices HLM, la création de nombreuses associations de quartiers, culturelles, la création d'une soupe populaire "pour les français"... Il crée le FN Pénitentiaire, suivi du FN Police, du FN RATP; qui viennent compléter le dispositif des "cercles professionnels" précurseurs des syndicats FN.

Pendant le mouvement de Nov./Déc. 95, le FN se fait timide, relégué à l'arrière plan par les mouvements sociaux, qui viennent mettre provisoirement fin à la division raciste existant au sein des entreprises.

Les attentats attribués au GIA, et la désignation, une fois de plus, à la vindicte populaire des jeunes issus de l'immigration, viennent donner un peu plus d'eau au moulin FN et plus généralement à la machine raciste.

L'arrachée de plusieurs mairies (Orange, Toulon, Vitrolles, Marignane), est pour le FN la possibilité de prouver sa crédibilité de parti "gestionnaire", et est une formidable avancée pour la suite des opérations. Il arrive en même temps à unifier le reste de l'Extrême-Droite (le GUD et Nouvelle Résistance le rejoignent), ayant des avantages à offrir dans ses nouvelles fonctions... Le parti s'est étoffé et compte désormais des centaines de cadres politiques formés, une direction politique avec une équipe pouvant prendre la relève de Le Pen (Mégret, Lang, Gollnisch), un Département Sécurité et Protection paramilitaire, des appuis dans l'appareil d'Etat, dans les partis, dans l'armée... Des scores électoraux stagnants aux alentours des 15 % avec des pointes très fortes dans certains quartiers populaires; et surtout un quadrillage du terrain hyper large, couvrant tous les secteurs.

Les premiers arrêtés anti-mendicité pris par des maires P.S. ou droite tombent, tandis qu'au niveau local, chacun y va de sa surenchère sécuritaire. A Vitrolles le P.S. diffait des tracts disant "Ce qu'ils proposent (le FN), nous l'avons déjà fait"... Au niveau national, Debré se veut un clone de Le Pen, et sous couvert de révision des lois Pasqua jugées trop répressives, il impose une loi encore plus répressive envers les étrangers. Il ne rencontre en face de lui à l'Assemblée que quelques députés P.S. somnolents.

Heureusement le mouvement courageux des Sans-Papiers vient secouer l'apathie de la gauche française qui ne s'impliquera pas assez une fois de plus.

La classe politique continue de s'engluer dans les affaires, et l'on peut penser qu'en l'absence d'une opération "Mains Propres" à l'italienne, ça va continuer, impliquant les plus hauts niveaux de l'état (Présidence, 1er Ministre...) et discréditant un peu plus le parlementarisme. Le FN se pose comme seule alternative à cette collusion et ne trouve personne en face de lui.

Le bilan humain des ces 15 années de dérive raciste est terrible : des milliers d'expulsions, de vies brisées, de familles détruites, d'agressions racistes, des dizaines de crimes racistes et sécuritaires etc... et au niveau politique, une régression des libertés fondamentales de toute la société et une division-atomisation encore plus forte.

Les tentatives de Front Républicain RPR/P.S. au 2ème tour, n'ont fait que renforcer le côté "moi contre les autres" du FN. Ce n'est ni le Front Républicain, ni un Front Démocratique (type SOS, humano, s'appuyant juste sur &laqno;les valeurs») qu'il faut opposer au FN, mais un vrai front de classe renvoyant le FN dans la cuisse du CNPF d'où il est sorti, car il est encore fécond le ventre de la bête immonde...Seule la satisfaction des revendications de type économiques et sociales, pourra mettre un terme à l'avancée du F Haine, qui porte les options les plus ultralibérales du capitalisme national.

Le FN porte désormais la prise du pouvoir comme perspective crédible, peut-être pas sur le court terme, mais il ne suffirait peut-être de pas beaucoup de circonstances aggravantes pour qu'il s'impose un peu plus, par des moyens démocratiques ou pas (élections, putsch...). Dans tous les cas, il va continuer à empoisonner la vie politique pendant un certain temps. Rien que pour se débarrasser de tout le venin qu'il a injecté dans la société depuis 15 ans, y'a du boulot... Il ne s'agit plus simplement d'une perspective laissée seulement au mouvement anti-raciste, mais qui appartient à la construction d'une alternative politique capable de mettre fin au chômage et à la précarité, à la corruption et à l'injustice sociale. On a pu voir en 95, comment le mouvement social peut constituer un rempart au FN, mais cela ne suffit pas. Ce ne sont pas les partis sociaux-démocrates qui le pourront, mais l'expression politique du ras-le-bol généralisé que vivent la grande majorité des gens (salariés, chômeurs, précaires, jeunes scolarisés ou en formation, retraités...). Quel que soit le gouvernement issu des élections du 25 Mai et du 1er Juin, c'est clair que même si c'est un gouvernement PS/PC, il ne s'attaquera pas aux fondements du système, il ne remettra pas en question Maastricht. Et le problème de la représentativité démocratique des institutions va se poser avec de plus en plus d'acuité (voir article &laqno;Vote Nul»). Quelle légitimité peuvent en effet avoir des institutions élues par un quart de la population ? (Chirac a été élu avec 14 Millions de voix...). L'abstention pose un problème à tout le système. Le renforcement de Maastricht, le passage à la Monnaie Unique, allié à la mondialisation, vont aggraver un peu plus les conséquences sur la qualité de vie des gens. C'est à nous tous, de renforcer la solidarité entre français et étrangers, de briser les atomisations que provoquent le racisme, l'homophobie, le sexisme. Et au-delà, nous devons construire un rapport de forces capable de faire rendre gorge à tous ceux qui ont intérêt à ce que le fascisme se répande : les exploiteurs de tous bords, qu'on les appelle néo-libéraux, capitalistes, industriels ou financiers. Car, aujourd'hui, le danger n'est plus seulement le fascisme en tant que tel, mais aussi ce que certains nomment &laqno;l'Etat globalitaire», à savoir la Fachiraquie, en ce qui ,nous concerne... A SUIVRE

Yann

TOUT PLEIN DE TEXTES SUR LES LUTTES DES SANS PAPIERS, CONTRE LE FASCISME

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