Les Amazight
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Les femmes ont toujours été la cible de toutes les forces les plus réactionnaires, ici comme en Algérie. L'offensive intégriste s'est servi de l'oppression patriarcale séculaire pour mettre dans sa ligne de tir les femmes, premières cibles des affrontements. Hassina, est une femme Kabyle, militante associative du mouvement des femmes, membre de l'association N'Farthma N'Souneur. Hassina, après avoir remis la question de la femme dans son contexte historique du lendemain de l'indépendance à nos jours, retrace ici les années terribles qu'ont subi et que subissent les femmes algériennes. Ses propos font apparaître la continuité du projet islamique, du Code de la Famille à la reconversion des apparachiks du FLN en militants du &laqno;Parti de Dieu». A travers leur lutte, c'est la lutte de toute la &laqno;société civile» (Amazight, Laïcité, Mouvement social, Jeunes révoltés...) pour sa survie qui se profile en arrière-plan. En abolissant les clichés et l'atomisation sociale, elles nous laissent entrevoir une troisième voie où les femmes, les jeunes, l'Amazight, représentent l'autre Algérie, celle qui lutte et résiste aux forces qui ont plongé l'Algérie dans le chaos. |
Après l'indépendance, les Islamistes et leur projet politique existent depuis longtemps. En 66, un Institut d'Etudes Islamique est créé.
En 63, le Président a commencé a écarter les femmes des centres de décision et à les renvoyer à leurs casserolles, en occultant leurs engagements pendant la guerre, déclarant qu'elles avaient lutté juste pour échapper au joug familial, et non pour l'indépendance.
La Constitution prône l'égalité des droits entre hommes et femmes, mais dans la pratique elle n'a jamais existé.
En 79, les Universités ont été la cible des islamistes : attaques des facs, des cités U, de femmes qui ne portaient pas le voile, attaques au vitriol, à l'acide.
Le 20 Avril 80 a lieu ce qu'on a appellé par la suite le Printemps Berbère. En réponse à une immense mobilisation nationale du mouvement culturel Berbère pour l'Amzhighité (particulièrement en Kabylie), l'armée a tiré sur la foule qui manifestait; des cités de jeunes filles ont été la cible des militaires, la répression a été féroce. A Tizi Ouzou, des jeunes filles ont été violées dans la cité Universitaire.
En 81 a eu lieu l'assassinat d'un militant culturel berbére : Kamel Amzal, poignardé par des islamistes, à la cité U de Benakmounh , aux cris de Allah Akbar (Dieu est grand). Ce sont les premiers crimes des islamistes, dirigés principalement contre les femmes.
En 81, le premier groupe des Frères Musulmans a pris le maquis : le groupe Bouyali.
Entre temps, sous Boumédienne, le Premier Code de la Famille a été présenté, remis dans les tiroirs sous la pression des femmes, ressorti par Chadli, adopté en Juillet 84, en pleine vacances, par l'Assemblée 100 % FLN. Ce Code fait des femmes des mineures à vie.
A l'Assemblée, le débat portait sur la dimension du bâton avec lequel tu pouvais taper ta femme, ta soeur... Des associations se sont créées, par exemple. les Moujahidettes, depuis les femmes n'ont pas arrêté de se battre.
En 88, le soulèvement du 5 Octobre 88, a rassemblé toute la population, toute la mouvance démocratique et pas seulement les femmes. Les gens se sont soulevés contre la cherté de la vie, le ras le bol, la misère sociale. L'armée a tiré, il y a eu plus de 5000 morts.
A cette époque, le Parti Unique (FLN) est toujours au pouvoir. Il s'est servi du mouvement pour constituer la base des islamistes, en faisant croire que les islamistes avaient initié le mouvement, ce qui est faux. Ils sont alors apparus comme la seule alternative d'opposition à la corruption, au pouvoir militaire.
Donc en 89, quand il y a eu les élections, ça a été le raz de marée pour le FIS, principalement sur un rejet du pouvoir. Les gens ont voté la nouvelle Constitution, et son article 40 (qui instaurait le multipartisme). Les gens travaillant dans la clandestinité ont pu sortir au grand jour, mais, en fait c'était pour mieux les contrôler.
En 89 c'est surtout le foisonnement démocratique. Les gens avaient soif d'associations, de partis politiques, de mouvements sociaux. Ce sont aussi les attaques contre les veuves, à Raouchi et à Ouargla, des veuves ont été brulées vives avec leurs enfants. Les gens savaient que les auteurs étaient les intégristes. Les femmes sont allées voir le Chef du Gouvernement, qui leur a dit : "Mesdames, l'intégrisme c'est dans vos têtes!». Aujourd'hui, nouvellement &laqno;promu» de l'opposition, il est pour la réconciliation..
En 89, dans les facs, on recevait la visite des intégristes, en fourgons blindés avec marqué dessus &laqno;Police Islamique». Ils tabassaient des couples, des jeunes filles; après ils se faisaient un peu &laqno;doux» et proposaient aux femmes de rentrer au foyer, de quitter les cités U, et ainsi de résoudre le chômage prétendument engendré par les femmes, ils proposaient même un salaire de 200 dinars /mois (200F), avec un mari par dessus le marché! C'est ce que propose aussi le FN en France, je crois ? Les flics les laissaient faire.
Elle est très importante. Les femmes étaient dans des syndicats étudiants, dans des comités universitaires...On demandait la mixité dans les écoles, après ils ont séparé filles et garçons, surtout dans le primaire et les collèges. A l'Université, ils n'ont pas les moyens de le faire...
Ils ne sont pas arrivés à intimider le mouvement des femmes., Bien avant le Multipartisme, des associations existaient dans la clandestinité, mais c'était difficile de revendiquer. C'était plus une action sociale : par exemple, par rapport aux femmes répudiées. Le Code de la Famille stipule que si le mari dit 3 fois à sa femme: "tu es répudiée", la femme se retrouve dehors avec ses enfants, dans la rue. Les associations aidaient ce genre de cas nombreux.
Cette intimidation n'a pas marché. Au contraire : pendant que les menaces grandissaient, la détermination des femmes croissait aussi. Dans les cités U, il y a eu des affrontements physiques avec les intégristes.
Les hommes étaient solidaires, mais la non-mixité des cités U interdisait ded fait aux hommes d'intervenir sur le terrain. Hors cité, ils venaient massivement pour soutenir, comme les intégristes venaient pour casser.
Il y a des universitaires, des intellos, des couches moyennes ou populaires, des coiffeuses, il y a de tout; c'est très mélangé. La difficulté du mouvement des femmes, c'est le manque de moyens. Il est assez difficile d'atteindre d'autres populations.
A part à Alger, dans le reste du pays, il y a des noyaux, mais pas de très forte mobilisation. Les Partis porteurs d'un projet démocratique ont tous inscrits l'Abrogation du Code de la Famille . Dans les Accords de Rome, pas un mot sur cette Abrogation, même si certains partis signataires sont pour (ex. le FFS). Les Partis signataires des Accords de Rome (1) ont été marginalisés. Les femmes de ces partis viennent vers nous pour se mobiliser.
Beaucoup de femmes ignorent le Code de la Famille jusqu'à ce qu'elles le subissent, car il y a beaucoup d'analphabètes.
Il y a eu aussi le blanchiment de l'argent qui a été encaissé depuis l'indépendance. Avant, ce fric était investi à l'étranger.Il était temps maintenant d'investir en Algérie, avec l'économie de marché qui pointait son nez. Du jour au lendemain, beaucoup de choses sont été chamboulées. L'Algérie sortait de la tutelle de "l'état sous le socialisme de la mamelle", comme on l'appellait, pour entrer dans une économie de marché à laquelle personne ne s'attendait. C'est sorti au grand jour au lendemain de la nouvelle Constitution.
L'article 2 de la Constitution faisant de l'Islam une religion d'Etat, on ne peut pas parler de laïcité.
Les associations de femmes posent le problème de la Constitution qui garantit les droits des femme d'un côté, et le Code de la Famille, qui les nie de l'autre. Les intégristes répondent que l'islam étant religion d'Etat, pas de contradiction entre le Code de la Famille et l'article 2 (stipulant l'islam religion d'Etat).
Aujourd'hui le Mouvement des femmes revendique l'abrogation du Code de la Famille et de l'Article 2, car il n'y a que la laïcité qui peut assurer certains droits. L'Article 2 nous coince car on peut abroger le Code de la Famille et mettre la Charia à sa place, au nom de la Constitution.
Certaines rares femmes sont rentrées dans la clandestinité; des associations ont été disloquées. Par exemple, l'association "Cri de Femme" à Tizi Ouzou, dont la Présidente Nabila Djamia a été assassinée. Après son assassinnat, des militantes ont été directement menacées, ce qui a disloqué l'association. A Bouji, une autre association "Izeerfen" (Droits des femmes), a eu ses dirigeantes assassinées. Malgré tout les femmes restent actives, mais il est dur d'avoir une activité publique.
La première cible des islamistes a été les femmes, même si aujourd'hui tout le monde en pâtit. Des communiqués ont été affichés, par exemple en 93, ils ont menacé que celles qui sortaient non-voilées allaient être assassinées. On a constitué un groupe de femmes sur la cité Lahalia, et on a répondu en disant que si 1 femme de la cité non-voilée était assassinnée, on s'attaquerait à 5 femmes voilées. Effectivement ça a fait le tour des mosquées d'Alger... Pas une femme n'a été touchée...On avait tellement peur, on était peu structurées. On a constitué un comité de lutte pour répondre à tous les problèmes de la cité, par rapport à la menace intégriste.
Il y a eut aussi des mobilisations nationales, à Alger le 22 Mars 1994, qui a regroupé 250 000 femmes. A l'époque le pouvoir prônait le dialogue avec les islamistes. Un des slogans de la manif était "Zéroual, ne baisse pas le Sahrouel"...
Il y a eu un Congres de la Résistance réunissant pleins de petits groupes de gens qui se sont armés pour défendre leurs droits à la vie, leur dignité. Dans les villages, des petits groupes se sont constitués et ont permis de sécuriser des régions entières, qui étaient aux mains de la terreur. D'autres sont des groupes d'auto-défense de militants. On ne peut pas se laisser égorger sans rien faire ! La résistance n'est pas arrivée à se structurer nationalement. L'Algérie a hérité des pires traditions jacobines françaises, et tout est très centralisé à Alger, et il est très difficile d'avoir des contacts dans tout le pays.
Aujourd'hui on sait que le pouvoir et les islamistes ne font qu'un. ça a muri dans la tête des gens
Pour en revenir aux pratiques du pouvoir; en 95, le Mouvement Culturel Berbère a organisé une grève illimitée, le boycott de l'école, pour reconnaître le droit à la reconnaissance culturelle de la langue Amazight dans les écoles, la reconnaissance de la culture, et l'Amazight langue officielle. Pendant une année, le boycott a eu lieu surtout en Kabylie. A la suite de cela, le gouvernement a monté un Commissariat à l'Amazighté, pour structurer cette question, en fait pour mieux l'étouffer. Ils ont commencé à l'ensigner dans les écoles, après ils ont arrêté. La question Amazight est sous le monopole du pouvoir grace à ce Commissariat. Le pouvoir a voulu faire la même chose pour le mouvement des femmes.
Il essaye beaucoup plus de récupérer le mouvement des femmes, que de l'affronter frontalement. En 96, ils ont organisé des ateliers pour parler du Code de la Famille. Le Chef du gouvernement a dit que ce n'était plus tabou, ils ont invité les associations, les femmes-alibis et les intégristes. Celles qui revendiquaient l'Abrogation du Code de la Famille n'ont pas pu avancer, bloquées par les intégristes en face.
Maintenant, elles parlent d'amendement du Code de la Famille, ce qui est un recul terrible pour le mouvement démocratique. ça n'a pas abouti, le pouvoir n'a pas cessé de dire que les problèmes de l'Amazhigité et des femmes n'étaient pas les problèmes de l'heure.
Les femmes essayent de réunir 1 million de signatures pour l'Abrogation, une campagne nationale est en cours. Un texte a été proposé qui s'appelle "1OO mesures et propositions", qui s'annonce comme une alterntive au Code de la Famille. Car l'Abrogation renvoie à un vide juridique du Code Civil qui renvoie à la Charria. On propose systématiquement une proposition alternative à l'article 2 de la Constitution.
L'arabisation a été menée contre le mouvement Amazight, contre la francophonie, l'ouverture... Le pouvoir essaye à tout prix de rallier l'Algérie au monde arabe, ce serait un pays arabe, pourquoi parler d'arabisation ? Pour les intégristes, parler français, c'est synonyme d'Occident, de forces coloniales... Ils parlent anglais, pas français.
Le pouvoir négocie depuis longtemps avec la frange politique, d'autres avec l'une des branches armées du FIS : l'AIS (les GIA sont aussi une des branches armées du FIS) qui serait plus modérée: ils tueraient au couteau, pas à la hache... L'AIS ne représente plus grand monde, une partie a été éliminée par les GIA car ils les trouvaient trop modérés; une autre partie a rejoint les GIA....
La Loi d'Amnistie a fait déposer les armes à certains combattants. Le lendemain de la trève de l'AIS, les massacres continuaient à Médéa.
L'alliance a tout intérêt à durer. Le peuple algérien est un peuple assez rebelle. S'il n'y avait pas eu le terrorisme, on n'aurait pas pu faire admettre toute la misère sociale qui est aujourd'hui acceptée en silence : la misère sociale, les licenciements, la privatisation des boîtes, les accords avec le FMI... Tout ça s'est fait sur le dos du petit peuple. L'eau rationnée un jour sur cinq, en temps normal, les gens seraient descendus dans la rue. Tu vas pas parler de l'eau ou d'inflation quand les rues baignent de sang ! C'est difficile de revendiquer dans cette terreur.
Evidemment le mouvement des femmes va en payer le prix fort, mais la grande perdante c'est la démocratie. Il y avait une brèche. Avec les évènements, toutes les revendications démocratiques ont été étouffées...
Il y a un accord entre les islamistes et le pouvoir sur l'ultralibéralisme. Négocier des marchés avec un système islamique qui ne parle ni de syndicats, ni d'associations, ni de démocratie, ni d'impots, ça l'arrange mieux qu'un pouvoir démocratique, qui défende les droits des gens.
Ca va durer tant que le pouvoir n'a pas trouvé sa stabilité. Il est en train de négocier des marchés internationaux. Il y a les élections municipales le 23 Octobre 97 (au moment où nous mettons sous presse NDR). Le blanchiment des islamistes à quelques jours des élections (appels à la trève...), ce n'est pas un hasard.. Le FLN les a mis sur un piedestal en 89, on refait la même chose aujourd'hui. Les islamistes du pouvoir risquent de gagner des voix. Tout le monde participe aux élections (pas de boycott).
C'est peut être le mouvement des femmes qui est le précurseur d'un front démocratique en Algérie.
Aujourd'hui, on nous met devant le choix &laqno;islamistes» ou &laqno;pouvoir».
Il y a une troisième force qui s'acharne sur les revendications démocratiques. On parle d'un véritable SMIC démocratique, à savoir, l'Abrogation du Code de la Famille, la reconnaissance de la langue et de la culture Amazight, la séparation de la religion et du politique, la refonte du système éducatif qui a formé une horde sauvage... C'est autour de cela, que les partis peuvent faire front aux intégristes et au pouvoir.
La société française en général est concernée. Je regrette le silence des médias nationaux, alors qu'en Algérie, les gens se privent de repas pour avoir des paraboles. C'est un mépris pour le peuple algérien, qui à l'heure des infos se précipite sur la TV pour voir si des infos filtrent.. On en parle comme un fait divers, la société doit se lever pour rompre ce mépris.
La position officielle du gouvernement français, c'est le soutien du pouvoir en place de Zéroual, qui a en plus la &laqno;légitimité» d'avoir été élu. L'opinion française peut faire pression au moins pour obtenir le droit d'asile pour les militant-es persécuté-es, la réouverture des Consulats de France en Algérie, une politique souple de visas...C'est très important aussi de nouer des liens directs avec ceux et celles qui luttent là-bas et qui ont besoin de notre soutien. Les associations doivent s'impliquer.
Propos recueillis par Yann.