LA GESTION
DES DECHETS
PAR L'OUBLI...

L'année 1983 marque la préférence pour l'enfouissement des déchets radioactifs à haute activité. En 1987, on a cherché à les enfouir directement. 4 départements: l'Ain, l'Aisne, le Maine et Loire et les Deux-Sèvres ont été sélectionnés à leur insu pour faire des prospections. Les élus et les populations des départements se sont mobilisés contre le projet. Le gouvernement Rocard a décrété un moratoire et a nommé un médiateur, M. Bataille qui a fait un rapport et a donné son nom à la loi du 30 décembre 1991. Cette loi est consacrée à la gestion des déchets nucléaires.

La loi Bataille donne à l'"Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs" (A.N.D.R.A) le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial. Sa mission est d'"assurer la gestion des déchets à haute activité et à vie longue dans le respect de la protection de la nature, de l'environnement et de la santé, en prenant en compte les droits des générations futures".

Dans le cadre de la mission de l'ANDRA, trois thèmes de recherche sont retenus: la séparation/transmutation des déchets, c'est-à-dire la réduction de leur toxicité, le stockage en profondeur, et enfin, le conditionnement et l'entreposage en surface.

Ces trois thèmes devaient avoir un budget égal mais des disproportions énormes ont été créées par la suite.

Aujourd'hui, le thème de l'enfouissement se taille la part du lion avec 53% des crédits, la séparation/transmutation en prend 35% et le conditionnement en surface reçoit 10% des crédits. Enfin, la loi confie à la Direction de la Sécurité des Installations Nucléaires (D.S.I.N), supervisée par les ministères de l'industrie et de l'environnement, le soin de déterminer les critères de sécurité relatifs aux sites de stockage.

LA DETERMINATION DES SITES DE STOCKAGE...

Le choix du stockage en profondeur ayant été fait, on s'est ensuite posé la question de savoir qui allait être candidat pour accueillir les laboratoires de recherche en vue de l'enfouissement. On a lancé un appel d'offre auquel une trentaine de collectivités locales ont répondu favorablement. Après sélection on a retenu 4 départements: la Vienne, la Haute-Marne, la Meuse et le Gard.

Les critères de sélection ont porté sur:

Pour faire bonne mesure, on a assorti cette demande à une petite prime de 60 millions de francs annuels pour chaque site pendant la période de construction et de recherche. Ainsi, sur les 10 ans de construction et de recherche (1998/2008) on devrait déverser 2,4 milliards de francs de prime.

A partir de cette sélection, l'Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) est venue s'installer dans ces régions pour faire des études sismiques, des forages, etc...pour avoir une idée de la géologie des sites retenus. Il apparaît que tous les sites ont un sous-sol en marne, sauf la Vienne qui est un site granitique.

Alors, vous parlez de critères techniques ?

Après ces recherches, l'ANDRA a remis un rapport aux 12 membres de la commission nationale d'évaluation créée par la loi Bataille. Sur ces 12 membres, 6 sont nommés par le gouvernement, 6 par le parlement. Ils sont chargés d'étudier les solutions et émettent un avis (facultatif) qui éclaire les choix gouvernementaux.

La commission a émis un avis favorable sur le site de l'Est et des réserves sur les deux autres sites, le Gard pour des raisons de sismicité, la Vienne à cause des nappes phréatiques. Le parlement tranchera en 2006.

UNE STRATEGIE DE REDUCTION DES RISQUES POLITIQUES

On présente ça comme des labos de recherche pour un éventuel enfouissement. Mais en vérité, il s'agit de labos de validation des sites en vue de l'enfouissement sur place des déchets nucléaires, car il n'y a pas de grand espoir de trouver en un laps de temps si court (5 ans) ni la confirmation ni l'infirmation de la capacité des sites à recevoir les déchets. Et ça, on le savait avant: le rapport Bataille de mars 1991 est éloquent: " il est pratiquement impossible de recréer artificiellement et en un temps très court, les conditions qui détermineront le comportement des matériaux soumis à l'irradiation pendant des siècles ". De son côté, l'ANDRA, qui reprend à son compte et dans sa propagande les 20 ans d'expérimentation du stockage souterrain à Mol (Belgique), oublie que les Belges n'ont pas pu trouver de quoi rassurer quant à la viabilité sur le long terme du stockage des déchets car ils ne sont pas arrivés à modéliser le comportement des déchets et les réactions de l'environnement.

En fait, les laboratoires sont surtout conçus pour tester la capacité d'acceptation de la population. On a choisi 4 sites pour pouvoir disperser l'opposition nationale et c'est en fonction des réticences exprimées localement que l'on déterminera une ou deux constructions définitives.

En l'absence d'une vigoureuse opposition, la phase de construction de ces " laboratoires " commencera en 1998 et s'achèvera en 2003. Il faudra construire 30 km de galeries pour 2 km cube de volume, ce sont des constructions de l'ordre du tunnel sous la Manche. Une fois achevées, on peut douter qu'elles resteront inemployées...

En 2003, le parlement se prononcera sur le commencement des recherches, il restera 4 ans d'expérimentation pour étudier la qualification des sites, c'est-à-dire leur capacité à recevoir les déchets. En fonction de la décision parlementaire de 2006, les premiers déchets seront expédiés par le fond à partir de 2020.

Actuellement, on se trouve dans la phase consécutive aux enquêtes publiques en vue des travaux de construction des laboratoires de recherche souterrains. Le résultat de ces enquêtes sera connu en octobre 1997. A cette période, les commissions de site devront formuler une réponse à toutes les critiques qui ont été émises par le public. En dépit de son caractère obligatoire, cette consultation n'est pas décisionnelle, et la commission d'enquête du Gard a d'ores et déjà émis un avis favorable.

LA NATURE DES DECHETS

Dans tous les cas, les déchets à enfouir sont des déchets ultimes de combustible irradié. Les déchets B ont une activité moyenne et une longue vie, ils font 5% de la radioactivité. Les déchets C font 0,5% du volume mais concentrent 95% de la radioactivité. Les déchets B et C ne représentent que 10% du volume des déchets mais 90% de la radioactivité.

Les déchets B sont conditionnés dans des containers en béton ou coulés dans du bitume.

Les déchets C sont vitrifiés, ils sont placés dans des fûts en INOX et refroidis pendant plusieurs dizaines d'années en piscine à la Hague et à Marcoule.

En 2020, il y aura 110.000 m cube de déchets B et de 6.400 m cube de déchets C, sans compter les déchets issus du démantèlement des centrales, ni les 60 tonnes de combustible irradié encore en service à ce moment là...

LES RISQUES SONT CONNUS

Le premier risque de l'enfouissement des déchets consiste dans la remontée de la radioactivité via les eaux souterraines et la contamination de la chaîne alimentaire. La chaleur extérieure de certains fûts de déchets devrait s'élever à 130 C au moment de l'enfouissement, la température atteindrait 90 C au bout de 50 ans d'entreposage. Cette chaleur pourrait entraîner des craquèlements de l'argile et laisser passer l'eau. L'ANDRA elle même reconnaît les risques de contamination: " certains colis de déchets (...) sont susceptibles d'entraîner un échauffement de la roche avec pour conséquence potentielle des déformations de la couche (...) et des modifications de ses propriétés de confinement ". Mais l'ANDRA espère que ça se fera sur un temps suffisamment long, avec des doses suffisamment faibles, pour qu'il n'y ait pas d'incidence sur l'environnement. Notons quand même, pour mémoire, que le site du Gard se trouve à proximité immédiate du Rhône qui alimente Nîmes en eau potable; quant au site de la Vienne, il se trouve au dessus d'une nappe phréatique...

Le deuxième risque: l'intervention humaine. Il est prévu que l'on garde la mémoire de ces sites pendant 500 ans. Or, la durée de vie des déchets varie de quelques dizaines de milliers d'années à plus d'un milliard d'années pour les éléments à plus longue vie. A titre d'exemple, le plutonium perd la moitié de sa radioactivité au bout de 24.360 ans.

Ces durées ne sont pas à l'échelle de nos vies, ni même à l'échelle des sociétés humaines. Des gens du C.E.A préconisent, eux, que l'on oublie très vite ces sites, de façon à ce que les interventions humaines (vols de substances, excavations etc..) n'aient pas lieu.

Au centre de stockage en surface de la Manche, qui porte surtout sur des déchets A (faible activité, gros volume) mais comprend 100 kg de plutonium et quelques kilos de Tritium, on s'est aperçu qu'il y avait quelques fuites des fûts et des points " chauds ". Le site, fermé en 1994, aurait du être banalisé au bout de 300 ans, on a décidé de le garder en mémoire quelques milliers d'années. Pour faire passer le temps, la seule solution consiste à colmater les brèches avec de l'argile et à adoucir les pentes.

UN PROCESSUS IRREVERSIBLE

La loi Bataille parle de stockage réversible. On dit qu'en fonction de l'évolution des techniques, on pourra venir récupérer les déchets si un problème se pose. Mais dans ce cas, pourquoi les enfouir?

De plus, la conjugaison des eaux chaudes des profondeurs et de la radioactivité fait fuir l'inox, et c'est pour ça que l'on cherche une enveloppe géologique stable à même de contenir la radioactivité qui fuit. L'ANDRA le reconnaît involontairement lorsqu'elle écrit dans son rapport :" la très faible porosité et la nature de minéraux argileux sont également responsables de la forte capacité de la roche à piéger les éléments radioactifs " Donc, s'il s'agit de récupérer les fûts en cas de problème, il faudra aussi récupérer l'enveloppe géologique, c'est-à-dire la roche et l'argile... De toutes manières, la commission nationale d'évaluation constate que le coût de la sortie des déchets serait tel que l'on ne pourrait pas se le permettre, et parle d'évacuation définitive.

Enfin, il y a un troisième risque: les accidents. Dans le Gard, les accidents sismiques sont prévisibles. Il y a une faille active haute de 4km à moins de 10 km du site envisagé.

Pour justifier ces travaux, on fait appel à des scientifiques qui apportent une caution en affirmant, sans rigoler, que " l'intensité des tremblements de terre est beaucoup plus faible en profondeur qu'en surface ".

En 2006, on doit relancer un programme nucléaire mais auparavant il faudra résoudre le problème des déchets, parce que le système est engorgé. La solution la plus rapide, la plus efficace et la moins onéreuse, c'est l'enfouissement des déchets.

La coordination nationale contre l'enfouissement des déchets demande un moratoire sur l'enfouissement, le stockage des déchets en surface et la réorientation des recherches en faveur de la transmutation des déchets.

Elle exige l'arrêt de la construction des centrales et l'abandon du nucléaire tant que l'on n'aura pas trouvé de système d'élimination complète de la toxicité de l'industrie.

 

Article réalisé sur la base des interventions
de J.P Morichaud (Forum Plutonium)
et F. Drieu (coordination gardoise
contre l'enfouissement des déchets nucléaires)
le 01/02/1997



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