ALGERIE

SOLIDARITE DEMOCRATIE

Pendants les MASSACRES,
les afffaires
CONTINUENT

Quand on commence à s'intéresser à la situation algérienne, on s'aperçoit que l'horreur a une finalité économique. Les années de guerre auront au moins réussi à faire accepter au peuple algérien les plans de restructuration du FMI, les privatisations de l'économie, et les restructurations (licenciements) qui vont avec.
Pourtant, l'Algérie exploitée, malgré la terreur et une situation syndicale directement issue du parti unique, continue à se battre au quotidien.
Kaddour CHOUICHA vit en Algérie. Il est enseignant universitaire, syndicaliste au CNES,et fait ici le point sur le mouvement social.

 

Peux-tu nous faire un résumé de la situation sociale en Algérie ?

Kaddour CHOUICHA : On ne peut parler de situation sociale actuellement qu'en utilisant l'expression &laqno;régression sociale», car plusieurs années de thérapeutique sociale à la mode F.M.I. ont porté leurs fruits amers. Le terme de &laqno;régression» n'est pas utilisé comme une métaphore car il ne s'agit plus de parler, pour la majorité, d'amélioration de la qualité de vie, de recrutement pour les sans-emplois, de hausse de pouvoir d'achat pour ceux qui ont le statut de travailleur puisque les liquidations d'entreprises publiques se répètent et jettent à la rue des milliers de travailleurs. Ceux qui ont un emploi, même précaire, doivent se sentir privilégiés, d'après le discours officiel et, effectivement, nombre de travailleurs ont pour seule perspective le maintien à un poste de travail et cela en attendant des jours meilleurs.
D'anciennes activités refont surface, notamment celles basées sur la récupération, le marché d'occasion, le tri des déchets. Avoir un double emploi ou de façon plus précise, un emploi officiel et une activité parallèle est pour beaucoup de personnes le seul moyen d'assurer un niveau de vie acceptable.
Ce qui peut paraître paradoxal ou, en d'autres termes, l'autre face de la médaille, c'est la constitution d'une classe d'affairistes au luxe tapageur, notamment les personnalités ou la clientèle de l'appareil d'état. Car dans un climat de terreur, il est très difficile de stopper ce qui sous couvert d'autorisations, de privilèges octroyés par l'administration, constitue le moyen le plus rapide et le plus sûr d'accumulation.
Le seul secteur qui continue à offrir des emplois, est celui de la &laqno;sécurité», sous toutes ses formes. Même le service national n'arrive pas à intégrer ceux qui ont arrêté leurs études, et qui ne trouvent pas de travail, mais s'ils le trouvaient, ils ne peuvent l'avoir tant qu'ils n'ont pas réglé leur situation vis à vis du service national.

Existe t-il des syndicats indépendants ?

En matière syndicale, si sur le papier, le pluralisme est énoncé, en réalité, le pouvoir privilégie le monopole syndical, aidé en cela par une direction (celle de l'UGTA) non seulement docile mais faisant partie du système (il n'y a pas de meilleur exemple que de citer le grand nombre de députés de la direction de l'UGTA émargeant au RND, parti du pouvoir s'il en est), mais aussi par l'émiettement, par secteur d'activité ou par catégorie socio-professionnelle, des organisations syndicales autonomes, sans parler du climat de terreur qui ébranle la détermination des syndicalistes les plus aguerris.
L'UGTA semble s'effriter à vue d'oeil, surtout dans les secteurs qui ont été touchés de plein fouet. Elle reste cependant assez implantée dans des secteurs privilégiés tels les hydrocarbures (rente oblige). Si certain secteurs résistent encore (sidérurgie, mécanique), l'on ne sait pas si cela relève de la forte mobilisation des travailleurs ou du fait que la déstructuration imposée suit un programme pour empêcher les jonctions des mobilisations.
Certaines organisations syndicales de la classe moyenne (fortement corporatistes) sont réellement représentatives mais leur directions privilégient une action syndicale assez prudente, ce qui peur s'expliquer par le résultat de certains conflits sociaux, qui peuvent apparaître comme une perception non tranchée qu'a ce type de couches sociales en période de crise.

Comment se comporte le pouvoir &laqno;officiellement» face au mouvement social ?

Le pouvoir admet les discussions avec les organisations syndicales, pour se donner une apparence de gestion démocratique des conflits sociaux, mais aussi pour ne pas se couper entièrement de ce qui a été une base sociale. Par contre quand les revendications portent atteinte au programme tracé de connivence avec les institutions financières internationales, la gestion de ces conflits passe toujours par une étape de pourrissement, puis par un autoritarisme. C'est pourquoi la tripartie (réunion regroupant l'UGTA, le patronat, et le gouvernement) est le lieu idéal, pour le pouvoir, de tenter de désamorcer les conflits en admettant comme unique représentant l'UGTA qui, en fait, apporte sa caution à la politique anti-sociale.
Pour les autres acteurs du mouvement social, le pouvoir utilise le même mode de gestion. Car dans un contexte où la violence aveugle se répète, les revendications sociales peuvent apparaître comme secondaires. Les intégristes, ou de façon plus précise leur expression politique, ne peuvent se permettre des prises de position hostiles au mouvement social. Il n'y aucune traduction politique concrète, surtout qu'actuellement le deuxième gouvernement comprend des ministres de partis islamistes.

Le mouvement social peut-il représenter une troisième voie ?

L'Algérie traverse un contexte de violence inouie, de bestialité, de déni de droit, rendant difficile une lecture politique qui puisse dégager une vision claire de ce qui se passe, et par là même une stratégie qui permette d'arriver à des objectifs définis. Le mouvement social se voit disloqué car en son sein il est très difficile d'avoir le minimum de coordination, surtout que ce mouvement social représente des secteurs dont la richesse, la stabilité, sont très différents. Cela bloque d'autant plus la formation d'une vision partagée, car seule une vision politique articulée à ce mouvement social arrivera à ouvrir des perspectives de sortie de crise. Ce qui est peut-être en train de se passer. Car si on remarque la montée du parti des travailleurs dont le porte parole est une femme, dans un pays conservateur, cela laisse présager des bouleversements profonds.
En fait le mouvement social ne peut-être considéré que comme une voie en lui-même. Encore faudrait-il que les acteurs principaux de ce mouvement prennent conscience du potentiel qui existe et oeuvrent vers la jonction des champs de contestation.

Sur la grève des enseignants, dans laquelle tu es impliqué ?

La grève du supérieur est à conjuguer au passé, car je pense qu'elle a atteint les objectifs qui étaient tracés dès le début. En l'occurrence avoir des réponses tangibles aux revendications exprimées, et utiliser la mobilisation pour refondre l'organisation syndicale des enseignants du supérieur. Chose atteinte puisque le congrès du CNES s'est tenu en juillet 1997. Limpact qu'a eu ce conflit permet de placer le CNES comme élément moteur pouvant amener le minimum de coordination au sein des organisations syndicales (tâche qui fait partie du programme de travail issu du congrès). Il peut-être important de noter que le ton revendicatif dont a fait preuve le CNES, pendant la grève, a fait que l'opinion publique ne voit pas le CNES comme un syndicat à tendance corporatiste, mais comme un symbole d'une élite sociale qui serait prête à en découdre avec le pouvoir pour exiger le respect des droit fondamentaux des citoyens. Tâche qui dépasse les capacités de l'organisation syndicale mais qui montre le besoin de démocratie et de justice qui existe au sein de la société.
Ces dernières années ont vu un mouvement social marqué par le conflit ayant opposé les pilotes d'avions, par le biais de leur organisation syndicale le SPA, à la compagnie AIR ALGERIE et, à travers celle-ci, à la politique anti-sociale du gouvernement, qui a utilisé les réquisitions, les licenciements pour casser cette grève. On doit citer aussi la grève des pétroliers, animée par des syndicalistes de l'UGTA en rupture de ban avec leur direction. Dans ce cas c'est l'alliance entre l'UGTA et l'administration qui a cassé la grève (suspension des animateurs par et de l'UGTA, licenciement abusif de la part de l'administration et même incarcération). A l'instar du conflit au sein de l'enseignement supérieur, ces deux conflit restent majeurs, car en plus de la dimension nationale elle touchait des secteurs sensibles, soit par la symbolique (pilotes et enseignants du supérieur, ce qui est considéré comme une partie de l'élite), ou le secteur des hydrocarbures (pourvoyeur de la rente).
Il n'empêche que plusieurs conflits naissent et disparaissent dans l'anonymat le plus total. Que ce soit le plus souvent dans le cadre de grève du collectif des travailleurs au niveau local, ou dans celui de la remise en cause de distribution de logements sociaux au niveau de plusieurs Wilayas (préfectures) ou communes d'Algérie.

Que représente le fait avoir une activité syndicale au quotidien ?

Avoir une activité syndicale au quotidien, implique d'accepter d'être sollicité de manière permanente, car non seulement le déni de droit, qui s'est installé à tout les niveaux est régulier, mais aussi à cause de l'inexistence d'une tradition syndicale qui voudrait qu'il y ait des méthodes de travail rodées et efficaces, cela en l'absence totale de cadre de concertation ou de recours réel auprès des administrations.
Il y a bien sûr la peur de l'arbitraire le plus total. Ne peuvent réellement militer que ceux qui ont bien intégré cette peur, comme ils doivent avoir intégré et dépassé les multiples tentations qui sont offertes pour rejoindre des clans ou réseaux dans le but de domestiquer et d'instrumentaliser. La gestion d'une activité syndicale au quotidien se fait non seulement par la personne elle-même, mais, comme partout, par toute sa famille, sauf qu'ici les désagréments peuvent être de toute autre nature..

Quelle est la place de la jeunesse dans ce mouvement ?

La jeunesse semble très peu s'inscrire dans le mouvement social car celui-ci est surtout animé par ceux qui ont un statut de travailleurs alors que la majorité de la jeunesse est complètement marginalisée, partagée qu'elle est par la course vers l'affairisme, par le désir de fuir le pays, ou d'essayer d'éviter le service national dans un pays en état de guerrre larvée (même si ces derniers temps le blocage qu'occasionne la non-régularisation vis à vis du service national pousse les jeunes à y aller pour en finir) ou dans sa tentative de rester à l'écart de tous les mouvements (par crainte) pour pouvoir traverser cette époque.
Il semble que le mouvement social soit, à l'heure actuelle, en pleine période défensive (défense des acquis ou de ce qui est considéré commme un droit), c'est pourquoi la majorité de la jeunesse, n'ayant rien, pense qu'elle n'a rien à défendre. Cependant une partie de cette jeunesse (la plus radicale) a pu être intégrée par les intégristes pour revendiquer une vie meilleure même si c'est par le biais d'un retour à ce qui leur semble être un âge d'or.

Quels sont les objectifs de la sainte alliance &laqno;islamo-conservateurs» ?

Au sujet de la sainte alliance, on a l'impression qu'elle remonte à très loin, puisque l'on peut décomposer le FLN à l'époque du Parti Unique, en sensibilités épousant les acteurs actuels de cette alliance. Ceci nous ramène à un mode de gestion en Algérie qui remonte au moins jusqu'à 1962, où ceux qui parlent de politique ne font que sous-traiter la chose politique pour d'autres (ceux qui décident vraiment) ce qui leur permet de se servir entre-temps. C'est pourquoi le mouvement social ne peut rien espérer de cette alliance qui prend, avec le temps, le moins de précautions pour glorifier la cohésion qui existe, d'ailleurs, les transferts incessants de &laqno;militants» entre les partis de l'alliance ne sont que la confirmation de ce qui précède.

Kaddour Chouicha
Enseignant Universitaire
Syndicaliste CNES




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