ALGERIE
DEUX MOIS de l'autre côté de la mer

 

Lorsque nous sommes arrivés en Algérie cet été 1999, les gens semblaient apaisés. En effet, la situation sécuritaire s'était sensiblement améliorée. Les routes étaient plus sûres car les faux barrages moins fréquents, les bombes se laissaient moins aller, à Alger en particulier. La population se mettait soudain à rêver à une Algérie en paix, sans la guerre, sans crise économique. Constat de deux petits mois passés de l'autre côté de la mer, auprès d'un peuple digne et debout.

 

Il y avait longtemps que je n'avais pas foulé le sol algérien, longtemps que la télé et les journaux français m'abreuvaient du sang d'une terre meurtrie par huit années de guerre. Arrivée à Alger, pas de bombes, pas de forces de sécurité en cagoule (les fameux ninjas), juste des douaniers comme dans tous les ports du monde. II est 9 heures du matin quand nous prenons la route. Là, le décor change, la tension dans les rues est perceptible, la police et l'armée sont là, premier barrage. Alger n'a pas oublié les attentats sanglants de ces dernières années. Sur le chemin qui nous mène à Blida, le chauffeur de la voiture nous montre les stigmates du terrorisme : ponts détruits ici, faux barrages et embuscades là, bars incendiés. Durant ces dernières années, hormis les massacres de population qui auraient fait 100000 morts, le terrorisme a énormément handicapé l'économie algérienne qui n'en avait vraiment pas besoin.

Intrigues de palais sur le dos du peuple.

Il y a deux Algérie qui se superposent, l'une, au Nord, celle des bombes et de la crise, l'autre au Sud. Les investisseurs étrangers, eux, ont fait leur choix. Ils vont directement vers le Sahara, là où se trouve, comme certains le disent si bien, "l'oreiller du pouvoir". Actuellement le pays est en effervescence diplomatique, et les chefs des délégations étrangères accompagnés de leur cour de businessmen, ont le billet facile pour Alger. Avec les élections du 15 avril, l'accalmie de ces derniers mois et l'ouverture à l'économie de marché, l'occasion été trop belle. Bienvenue au Bled ! Pour aller dans la zone pétrolière, il est nécessaire d'avoir un laisser passer. Là, aucun problème de sécurité. Dormez bien, Messieurs les décideurs.

Au second jour, nous arrivons en Kabylie. Cette région d'Algérie, située à environ 100 km de la capitale est une sorte de "Pays Basque". Grosse différence cependant, hormis quelques illuminés trop régionalistes pour réfléchir, la Kabylie ne demande pas l'indépendance. L'un des slogans les plus souvent entendu était : "pas d'Algérie sans Tamazight". Ici, les commentaires sur les intentions de "Boutef" vont bon train, beaucoup de gens se sentent trahis et délaissés par le pouvoir central. Les investissements dans la Wilaya (l'équivalent du département) de Tizi Ouzou sont quasi nuls .

Culturellement, le pouvoir en prônant une Algérie arabo-musulmane, nie de fait la pluriculturalité du pays et par la même, l'existence d'une culture Amazight. En 1980, la Kabylie a connu ce qu'on appelle ici le printemps berbère. Des manifestations pour la reconnaissance de Tamazight avaient entraîné une répression très violente. 19 ans plus tard, la rupture est toujours perceptible dans cette région. Nous passons le temps en allant nous promener et boire du café chez les gens du village, l'ennuieest un art ici. Les paysages sont magnifiques et c'est à l'ombre de la chaîne de montagnes du Djurdjura que nous apprenons la nouvelle d'une trêve négociée entre le pouvoir et les gens de l'AIS (Armée Islamique du Salut), la branche armée du FIS. C'est la stupeur, car un tel accord avait toujours été nié, et le coup est encore plus dur lorsqu'on apprend que cette " trêve" date d'Octobre 1997. Suite à cette annonce les choses s'accélèrent, Madani Mezrag (chef de l'AIS) est considéré par les autorités comme un personnage "courageux". Cet homme égorgeur invétéré qui a semé le chaos et la terreur en Algérie, est, en ce mois de juin, suite à une missive qu'il a adressée au Président, considéré comme un interlocuteur normal. Durant les semaines qui suivirent, le processus de mise en place de la loi sur la réconciliation nationale fit son chemin. Ce qui aboutit le 16 septembre au référendum, véritable chèque en blanc pour un Président en manque de légitimité. Le mois de juin fut intense en interrogations et débats entre les habitants du village. Encore une fois ils se sentaient trahis, déçus et amers. Une fois de plus, alors que l'armée algérienne et les citoyens en armes (les patriotes) avaient remporté une victoire sans conteste sur les maquis islamistes, le pouvoir ranimait la bête et faisait de cette victoire militaire une défaite politique. Que cherchait donc le pouvoir ? Beaucoup de gens ne comprenaient pas à ce moment là et beaucoup trouvaient le jeu dangereux. Comment pouvaient-ils pardonner, comme le leur demandait le Président ? Un homme me dira : "Le pouvoir a besoin des terroristes, s'ils n'existaient pas, comment pourrait-il justifier la pression sur le peuple et la faillite économique du système ?". En effet, avec 70 % de moins de 20 ans, l'Algérie est un pays jeune, les infrastructures manquent, beaucoup de choses y sont à faire et le pays avec les richesses naturelles qu'il possède devrait être hors du champ d'action de la crise. Pourtant le chômage s'écrit avec deux chiffres : 30 %. Le même homme très amer me dira encore : "Si tu veux rencontrer l'argent de l'Algérie, va en Suisse. Chez nous il y a pour 200 ans de travail, mais quel intérêt auraient les nantis, eux partagent le gâteau et nous on gratte pour les miettes. Le seul qui a voulu changer ça c'est Boudiaf, ils l'ont assassiné". Boudiaf fut assassiné en 1992, on attribua le meurtre à un élément déséquilibré du service de protection. Beaucoup d'Algériens désignent certains généraux, car Mohamed Boudiaf, en exil au Maroc jusque là, voulait innocemment toucher aux dossiers concernant la corruption, ce qui aurait ébranlé une grande partie des gens du pouvoir. A ce propos, un dossier circule sur internet concernant les circonstances de la mort de Boudiaf. Depuis l'indépendance, une nomenklatura, issue de l'Est du pays s'est accaparé le pouvoir via l'armée.

Celle-ci, entre autres, aurait donné certaines terres fertiles de la Mitidja à des gens de leur région, et ce en spoliant les occupants légitimes de ces terrains. Certains assassinats que l'on attribue aux groupes islamistes seraient en fait des règlement de compte datant de 1962. Le clientélisme et la corruption sont monnaie courante, des monopoles commerciaux sont détenus par un clan du pouvoir. La mafia politico-financière a la main mise sur une grande partie des ressources énergétiques du pays. Certaines grosses boites mixtes ou d'Etat ne paient pas leurs employés, ce qui conduit ceux-ci à voler le matériel de travail et à le revendre pour survivre. Le détournement d'argent et de matériel publics est un "sport" pratiqué dans toutes les strates de la société. Pendant ce temps, tout s'achète en Algérie, seul problème pour les Algériens, le kilos de viande est à 600 dinars* alors que le salaire moyen est d'environ 5000. Une paire de Nike vaut 10 à 15000 dinars.

Le Chiapas est au Bled.

Malgré ce constat pour le moins négatif, l'Algérie n'est pas un pays sans espoir. On y vit et les Algériens ont souvent, comme dans beaucoup de pays du Sud, un humour déconcertant. Souvent lucides, ils savent rire du pouvoir. Ils savent que dans l'absurde volonté de conserver leurs privilèges, les autorités ne peuvent que présenter une télé de propagande encore pire que la &laqno;Une» en France, d'où le fameux surnom de la télévision algérienne : "La Zéro". Malgré tout, il existe une certaine liberté de la presse acquise par de très fortes luttes. Certes, la plupart des journaux sont les organes plus ou moins officiels de certains partis politiques, mais l'information passe un minimum depuis les émeutes d'Octobre 1988 qui avait obligé le F.L.N., au pouvoir depuis plus de trente ans, à lâcher du lest. Des associations de lutte pour les droits de la femme se créaient, car l'Algérie possède l'un des codes de la famille les plus rétrogrades de la planète. La femme y est mineure à vie, elle est sous tutelle permanente d'un homme. Des femmes font de la politique et n'hésitent pas à défier le pouvoir conservateur, qu'il soit militaire ou islamique. Citons entre autre Khalida Messaoudi, députée du RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie). Malgré son discours progressiste, ce parti entretient de très amicales relations avec le RPR (l'Algérie n'en est pas à un contradiction près). Il est impossible d'envisager un quelconque progrès social et démocratique dans un pays qui exclut la moitié de sa population. La situation de la femme en Algérie est la conséquence directe d'une société traditionnelle et patriarcale, et non pas seulement la résultante de l'Islam. De nombreuses personnes se battent aussi pour la reconnaissance des minorités dites "berbères", de nombreuses associations existent dans le pays travaillant de manière indépendante, mais souvent sans aucun moyen. La culture algérienne, malgré les apparences, se nourrit des influences de l'Orient, de l'Occident et de l'Afrique. IL n'y a pas que la musique traditionnelle et le raï au Bled. Le rap, tout comme en France, est devenu la musique de nombreux jeunes. Cela répond à une prise de parole qui, jusque-là, n'avait pas trouvé le support adéquat pour raconter aux frères de l'autre rive "le mal-être en miroir" d'une jeunesse en recherche d'identité. La politique d'arabisation étant, même pour les populations dites arabophones, facteur de démembrement identitaire, les jeunes Algériens, comme ici, se cherchent une culture commune dans le hip hop. Mais, le plus impressionnant c'est la solidarité entre les gens. Certains villages de Kabylie, par exemple, sont dotés d'assemblée villageoise et d'un conseil de "sages" qui gèrent les affaires courantes de la communauté. Ces structures fonctionnent parallèlement aux APC (équivalent des Mairies) et très souvent se substituent à elles, en organisant par exemple la distribution de l'eau, le raccordement électrique, l'aide au plus démunis. Pourtant, les conseils de villages excluent, même eux, la femme du champ décisionnel.

Il reste beaucoup de travail à accomplir au Bled, mais malgré la main mise du F.L.N. sur tout, malgré la violence, les Algériens continuent la lutte; un quart d'heure après l'explosion d'une bombe la vie reprend son cours, malgré toutes les pressions l'Algérie tient le coup.

Ramuncho.

* 1f = 11 dinards

DOSSIER ALGERIE DU N20