Toujours sous la surveillance de l'État, les radios libres sont de plus en plus confrontées au désengagement financier des pouvoirs publics, à l'uniformisation commerciale des programmes et à la professionnalisation techniciste de leur fonctionnement. Alors que les radios libres furent légalisées voici plus de 15 ans, devrons-nous bientôt recréer des radios pirates ?

 

En 1922 apparaissent les premières émissions radiodiffusées en France, alors expérimentées par l'armée. Rapidement, l'État monopolise ce nouveau moyen de communication, en accordant quelques dérogations à quelques sociétés commerciales. Ce n'est qu'au cours des années 70 que surgissent de multiples radios pirates, faisant prendre conscience peu à peu aux auditeurs de l'importance d'une information libérée de toute propagande et autres publicités. A tel point, qu'en plus de l'intensification des brouillages d'ondes, le gouvernement de l'époque interdit officiellement les radios pirates par la loi Lecat de 1978. Fiasco total, puisque même tous les partis politiques organisent déjà leurs propres stations pirates. Ce que l'on appelle désormais les radios libres seront finalement légalisées après la victoire de la gauche, le 9 novembre 1981.

De la liberté censurée à la liberté surveillée

Cette reconnaissance pleine et entière des radios libres ne garantit pas pour autant leur développement harmonieux, mais marque au contraire le début d'une confrontation avec le processus de l'institutionnalisation et de la marchandisation. D'emblée, la chasse à la "piraterie" est lancée grâce à des organismes étatiques successifs, seuls habilités à délivrer les autorisations de fréquence. Que cela soit la Haute Autorité en 1982, puis la Commission Nationale de la Communication et des Libertés en 1986, ou le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel depuis 1989, toutes ces instances, sous prétexte d'éviter la saturation de la bande FM, ont exclu nombre de radios libres qualifiées de subversives si ce n'est de "pornographiques", au profit de radios plus correctes politiquement, voire ouvertement commerciales.

D'ailleurs, la question du financement des radios libres reste toujours posée: dès 1982, un Fonds de Soutien à l'Expression Radiophonique (FSER) est institué. Mais cet organisme public ne versera la prime d'installation promise aux radios libres qu'en 1984, et les subventions de fonctionnement prévues ne seront finalement accordées aux radios non commerciales qu'à la fin de l'année 1988...

Par contre, le débat concernant la publicité est vite tranché : toutes les radios sont autorisées à y avoir recours en 1984, cédant ainsi aux appétits des réseaux commerciaux et doublant le contrôle institutionnel par la sélection de l'argent. Le comble du libéralisme sera atteint par l'accord donné en 1989 aux radios faisant de la publicité (dans la limite de 20 % du total de leur chiffre d'affaires) de pouvoir également bénéficier des subventions du FSER...

Du fonds de soutien au fonds de commerce

Ce processus de domination des radios libres par le marché s'accélère dans les années 90. Alors qu'elles étaient réparties en 3 catégories (publiques, commerciales et associatives), le CSA décide en 1994 de diviser le monde radiophonique en 5 catégories (A : associatives, B : commerciales, locales C : réseaux commerciaux nationaux, D : publiques thématiques, E : publiques généralistes). Cela produit irrémédiablement une nouvelle répartition du domaine hertzien, jusqu'alors distribué quasi équitablement en 3 tiers : les radios libres n'occupent actuellement que 24 % des fréquences FM, les radios publiques 27 % et les radios commerciales 49 % !

Toujours de plus en plus fort : avec la loi Carignon de 1994, les radios de catégorie B peuvent passer en catégorie C, ce qui ne fait que renforcer la puissance des réseaux commerciaux, qui rachètent depuis longtemps toutes les radios A en difficulté et peuvent les détenir désormais en location gérance. Il est important de savoir que le seuil d'expansion d'un groupe radiophonique est mesuré par le bassin de population desservie, alors fixé à 45 millions d'habitants maximum. Dorénavant, la loi relève le potentiel de couverture à 150 millions d'habitants, triplant ainsi les débouchés publicitaires de ce média très convoité... Cette loi oblige enfin toutes les radios à diffuser un quota minimum de 40 % de chansons françaises sur la bande FM, afin de développer l'ambigu concept de "continuité culturelle" francophone. Applicable depuis le 1er janvier 1996, l'ensemble de la loi Carignon prépare en fait les prochaines offensives du capital sur les radios libres.

Effectivement, en 1996, celles-ci sont sommées de payer une nouvelle taxe relative aux droits des artistes-interprètes : la SPRE (Société pour la Perception de la Rémunération Équitable !). Cette taxe, qui se rajoute à celle de la SACEM, est un coup dur pour les petites radios puisque les sommes dues sont fixées à partir de 1988 !

Mais le pire reste à venir, car le 1er octobre 1997 arrivera le terme des actuelles attributions de fréquences FM et de la taxe parafiscale de 2,5 % payée par les radios et télévisions commerciales et récoltée par le FSER afin de subventionner les radios libres. Cette date fatidique conditionne entièrement l'avenir du secteur associatif radiophonique. D'ailleurs, les marchands mènent campagne depuis plusieurs mois pour dénoncer leur prise en charge financière des radios libres, présentées comme "non-professionnelles" et "anachroniques"...

Il est évident que les commerciaux souhaitent s'emparer des fréquences réservées à la catégorie A, qui seront redistribuées non plus pour 5 ans mais pour 15 ans.

De plus, le CSA prépare une proposition de loi réorganisant le secteur audiovisuel, qui sera discutée au Parlement d'ici le printemps 1997. Certains posent l'éventualité d'une suppression pure et simple du FSER, dont les responsables souhaitent d'ailleurs augmenter le "dynamisme" des radios associatives grâce à un "esprit d'entreprise".

Rappelons que le FSER fournit l'essentiel du budget des 527 radios associatives subventionnées en 1996.

Radios libres en sursis...

Voilà près de 20 ans que les radios libres tentent d'affirmer leur rôle social et culturel en se rassemblant autour de fédérations, dont la première fut créée en 1978. Depuis, elles se comptent par dizaines, avec des objectifs différents : communautaires, scolaires, confessionnelles, rock, rurales, régionales, européennes, etc. Les radios associatives sont donc assez divisées, surtout au sein de 2 principales fédérations politiques : la CNRL (Confédération Nationale des Radios Libres, plutôt à gauche) et le CNRA (Conseil National des Radios Associatives, plutôt à droite). Même si ces 2 fédérations regroupent les 2/3 des radios associatives, elles n'ont qu'un pouvoir consultatif auprès des autorités publiques. D'autre part, l'État entend mener la "concertation" sur l'aspect quantitatif des radios libres. C'est à dire sur leur rentabilité, en se fiant à quelques sondages qui les créditent d'un taux d'écoute d'environ 3 %. Mais ces enquêtes téléphoniques ne s'avèrent absolument pas fiables.

Au contraire, le véritable enjeu se situe dans un réel débat public sur l'aspect qualitatif développé par les radios libres. Mais au fait, comment sont-elles officiellement définies ? Une radio libre est jusqu'à présent une radio associative à but non lucratif, subventionnée par le FSER et qui réalise un minimum de 4 h de programme propre par jour. Bien entendu, cette définition aléatoire permet à la fois l'essor de pseudo-associations et les critiques acharnées des anti-associatifs. Il est donc plus qu'urgent de réfléchir à l'élaboration d'un statut des radios libres, notamment autour des principes suivants :

Cette simple énumération des règles élémentaires démontre le niveau de dénaturation où se trouvent les radios libres aujourd'hui. Cette négociation nécessite la mobilisation du plus grand nombre d'auditeurs, non seulement pour sauver les radios libres, mais surtout pour participer à cet extraordinaire moyen de communication que constitue la radio. Afin que chacun puisse comprendre, s'épanouir et entrer en relation, selon sa propre longueur d'onde.

 Téka

 

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