Conclusions provisoires
des travaux de la Commission denquête citoyenne
sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994
(Paris, 22-26 mars 2004)
Initiée par des ONG : Cimda, Aircrige, Survie)
Réunie à Paris du 22 au 26 mars 2004, la Commission denquête citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 a examiné durant cinq jours un ensemble de documents et témoignages portés à sa connaissance, suggérant que lÉtat français et certains de ses représentants, officiels ou officieux, pourraient avoir été complices dans ce génocide. Au terme de ses travaux, qui seront diffusés sous diverses formes écrites et audiovisuelles, la Commission fait état de ses premières conclusions :
1. Au plan militaire, la Commission constate :
1.1 les troupes spéciales françaises, ce qui nest pas contesté, ont formé de 1991 à 1993 dans plusieurs camps dentraînement des milliers dhommes qui pour beaucoup allaient devenir les encadreurs du génocide ; la France admet avoir formé les commandos de la Garde présidentielle et les troupes délite de larmée rwandaise, mais plusieurs témoignages avancent que, dans le recrutement massif opéré à lépoque, les hommes formés par les instructeurs français pouvaient aussi bien être (ou devenir) des membres descadrons de la mort, des instructeurs ou leaders des milices qui participeront au génocide ;
1.2 dès janvier 1993, il était difficile pour ces instructeurs français (DAMI) de ne pas voir la volonté exterminatrice de certains chefs et groupes militaires ou miliciens aux moyens ainsi renforcés, puisquun important massacre avait eu lieu à proximité du camp de Bigogwe où travaillaient une partie de ces DAMI ;
1.3 un témoin visuel entendu par la Commission assure que, déjà en avril 1991, des militaires français arrêtaient les Tutsi à un barrage routier près de Ruhengeri, sur la base de leur carte didentité ethnique, et les remettaient aux miliciens en bord de route qui les assassinaient aussitôt ; il reste à rechercher si ces militaires auraient agi seuls ou en obéissant à des ordres, et dans le second cas le niveau hiérarchique de ces ordres ;
1.4 plusieurs témoignages recueillis au Rwanda, visionnés par la Commission, allèguent dune sorte de partage des tâches concerté dans le Sud-Ouest du Rwanda, lors de lopération Turquoise, entre certains militaires français et des miliciens ; lun de ces derniers et plusieurs rescapés assurent que la découverte des survivants par les premiers éléments de lopération Turquoise sur les collines de Bisesero a coïncidé avec une série dattaques sans précédent des milices beaucoup mieux armées, qui auraient massacré une partie des survivants, le reste nétant sorti de ce piège que 3 jours plus tard par les moyens de transport français ; des témoins interrogés récemment sur place par la Commission, parmi les rescapés et les miliciens, estiment que ce retard a été voulu ; il sagit là encore daccusations dune extrême gravité, qui nécessitent une enquête complémentaire ;
1.5 selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, le colonel Rosier aurait fait faire demi-tour à un détachement français parti porter secours à des rescapés ; bien que ne relevant pas dune complicité active dans le génocide, cet ordre, qui contredit lobjectif affiché de lopération Turquoise, ne peut rester sans explication ;
1.6 il nest pas contesté que lopération Turquoise na rien fait pour empêcher les militaires et miliciens du génocide de partir sinstaller avec armes et bagages à quelques kilomètres du Rwanda, au Kivu (à lest du Zaïre) ; un rapport de 1995 de Human Rights Watch (HRW) assure que larmée française aurait transporté lorganisateur présumé du génocide, Théoneste Bagosora, le chef milicien Jean-Baptiste Gatete, et plusieurs autres responsables de lextermination des Tutsi ;
1.7 le même rapport de HRW affirme, à partir de plusieurs témoignages, que des militaires et miliciens du camp génocidaire en fuite ont été amenés dans une base française en Centrafrique pour y être entraînés de nouveau ; ce rapport a été rejeté en bloc par les autorités françaises, mais laffirmation de HRW sinscrit dans une constellation de faits montrant que les troupes spéciales françaises ont considéré dès la fin du génocide que ceux qui lavaient commis pouvaient rester leurs alliés ;
1.8 il nest pas contesté que les forces militaires et miliciennes du génocide ont entrepris dès lété 1994 de se reconstituer au Kivu (Zaïre) ; cest le moment où la France, par lentremise entre autres de Jacques Foccart et du général Jeannou Lacaze, renoue officiellement avec le dictateur zaïrois Mobutu et lui envoie des instructeurs militaires ; plusieurs témoignages, dont celui du général Roméo Dallaire, montrent la proximité entretenue entre larmée française et le général Augustin Bizimungu, commandant les Forces armées rwandaises (FAR) qui encadraient le génocide ; quatre ans plus tard, ce général et ses troupes seront à nouveau les alliés de la France dans la guerre civile au Congo-Brazzaville ; la Commission sest interrogée sur la coopération continuée avec des forces impliquées dans le génocide pour une succession de guerres en Afrique centrale ;
1.9 à laéroport de Goma au Nord-Kivu contrôlé directement par les Français durant lopération Turquoise (de fin juin à début août 1994), ou par des forces zaïroises alliées de la France avant et après cette opération , les avions-cargos chargés darmes nont cessé daffluer pendant et après le génocide, à destination des forces armées qui ont encadré les massacres (les FAR) ; plusieurs rapports en attestent (HRW, Amnesty International, NISAT ) ; un témoin a décrit à la Commission comment, fin juin 1994, ces cargaisons darmes étaient transférées aux FAR ; il estime quà cette époque, le transit par Goma supposait laccord de larmée française ;
1.10 deux de ces livraisons darmes pour les FAR pendant le génocide, les 25 et 27 mai (après lembargo voté le 17 mai par lONU), ont été lobjet dune enquête de HRW ; le consul de France à Goma, Jean-Claude Urbano, a indiqué à lenquêtrice de HRW quil sagissait dhonorer des commandes à la France antérieures au 17 mai ; il a démenti par la suite, mais a renoncé à sa plainte contre HRW ;
1.11 selon lhistorien Gérard Prunier, Philippe Jehanne, conseiller DGSE du ministre de la Coopération Michel Roussin, a admis que la France livrait des armes au camp du génocide ; dans une entretien avec Médecins sans Frontières, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a déclaré avoir mis fin aux livraisons darmes fin mai 1994 (alors que le génocide est aux trois-quarts achevé), tout en suggérant que lÉlysée pourrait continuer den livrer ;
1.12 selon un compte-rendu examiné par la Commission, recueilli en 1994 à Kigali par la journaliste Colette Braeckman, le lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda a rencontré à Paris le 9 mai (plus dun mois après le début du génocide), le général Jean-Pierre Huchon, chef de la Mission militaire de coopération (MMC) et pivot de lalliance entre larmée française et les FAR ; le compte-rendu mentionne lintention de la France de porter secours à ses alliés et la mise en place dune liaison cryptée entre la MMC et les FAR ; il impute au général Huchon le souci de sinstaller dans une guerre longue et de renverser la mauvaise " image du pays " ; la critique interne de ce document et les effets quil semble avoir eu les jours suivants sur les messages émis par les radios rwandaises penchent en faveur de son authenticité ; celle-ci pourrait être confirmée ou infirmée à partir de vérifications factuelles (agenda du général, paiement du matériel de communication, etc.) ; sil était authentique, ce document ferait paraître la profondeur de lalliance entre une partie de larmée française et les FAR durant le génocide ; la Commission regrette que ni le Parlement, ni des médias, naient cherché à enquêter à ce sujet ;
1.13 selon lhistorienne Alison Des Forges et le journaliste Patrick de Saint-Exupéry (qui fait état dun document), le lieutenant-colonel Cyprien Kayumba, acheteur darmes des FAR, attaché à lambassade du Rwanda en France, aurait séjourné 27 jours à Paris au printemps et au début de lété 1994, et aurait été en contact fréquent avec le général Huchon ;
1.14 mi-juin 1994 est organisée par le colonel Bagosora, orchestrateur présumé du génocide, une double livraison darmes depuis les Seychelles jusquà Goma ; lintermédiaire est un Sud-Africain, Willem Petrus Ehlers, un ancien responsable du régime dapartheid, qui a reçu une formation militaire en France et serait proche dun important agent français ; largent de la vente a été tiré sur la BNP Paris ;
1.15 lex-capitaine de gendarmerie Paul Barril apparaît au cur du dispositif militaire franco-rwandais ; il ne cache pas ses liens avec la mouvance porteuse du génocide, ni quil a été présent au Rwanda pendant le génocide ; deux sources sérieuses, Alison Des Forges et Patrick de Saint-Exupéry, indiquent quil a signé avec le gouvernement du génocide un contrat "insecticide" (les Tutsi étaient appelés "cafards") ; il est peu compréhensible que, sur ce point comme sur dautres, ce militaire semble bénéficier dune totale immunité ; la Commission ne comprend pas non plus quil nait pas été entendu par la Mission dinformation parlementaire ;
1.16 plusieurs témoignages, et les propos recueillis par divers journalistes, montrent lantitutsisme virulent voire prosélyte affiché par des militaires français, depuis certains soldats intervenant durant lopération Turquoise jusquà de hauts gradés ;
1.17 plus généralement, la présence militaire française au Rwanda de 1990 à 1994 paraît bien avoir été entièrement captée par les forces spéciales imbriquées aux services secrets, avec lappoint des commandos de la gendarmerie (GIGN et EPIGN) ; avec Patrick de Saint-Exupéry, la Commission constate quune guerre secrète a été menée au Rwanda par une " légion présidentielle " hors hiérarchie, le commandement des opérations spéciales (COS), affranchi de tout contrôle démocratique hors la personne du Président ; cette situation est dautant plus dangereuse que, selon le chercheur Gabriel Périès, la doctrine militaire enseignée et transmise parmi ces forces spéciales privilégie des formes de manipulation de lopinion et de contrôle des populations, ainsi que le renforcement des réflexes identitaires ; on peut dès lors se demander si, à loccasion de la guerre menée par la France au Rwanda pour des objectifs obscurs, des " apprentis sorciers " nauraient pas franchi comme le soutient Patrick de Saint-Exupéry un palier dans la guerre psychologique et linstrumentalisation de lethnicité jusquà amorcer, dans un contexte " favorable ", la dynamique génocidaire ; cet amorçage pourrait être un résultat non souhaité, mais pourquoi en ce cas les plus hautes autorités politiques et militaires, rattachées à la Présidence de la République, ont-elles mis si peu dempressement à combattre dès avril un génocide que certains officiers ou diplomates laissaient présager depuis 1990 ou 1991 ?
2. Au plan financier, la Commission constate :
2.1 La Banque nationale du Rwanda, trésor de guerre des organisateurs du génocide, a pu tirer des sommes importantes sur la Banque de France et la BNP Paris : 2 737 119,65 FF en six prélèvements du 30 juin au 1er août pour la Banque de France, 30 488 140,35 FF en sept prélèvements du 14 au 23 juin 1994 pour la BNP ; la CEC se demande comment la Banque de France a pu procurer des moyens financiers (dont 1 500 000 FF le 1er août, alors que le Gouvernement responsable du génocide et sa banque ont quitté le Rwanda depuis un mois) aux auteurs dun génocide commencé le 7 avril ; comment lautorité de tutelle de la place financière de Paris a pu ne pas demander de couper les liens financiers avec les autorités génocidaires ; comment la BNP a pu ignorer la portée de ces prélèvements ;
2.2 La Commission se demande pourquoi la France et la BNP nont pas davantage coopéré avec la commission denquête des Nations unies à propos de la double livraison darmes aux FAR évoquée plus haut, en provenance des Seychelles mi-juin 1994, impliquant lintermédiaire Ehlers et le colonel Bagosora, et dont le paiement est provenu de la BNP Paris.
3. Au plan diplomatique, la Commission constate :
3.1 La journaliste Colette Braeckman a confirmé que, selon une source diplomatique, le Gouvernement intérimaire rwandais (GIR) composé de représentants des factions politiques extrémistes et qui va aussitôt superviser le génocide, aurait été constitué au sein de lambassade de France à Kigali, sous la houlette de lambassadeur Marlaud ;
3.2 La France va continuer à reconnaître le GIR, qui sera jugé responsable du génocide par le Tribunal pénal international dArusha, durant tout le génocide et même les premières semaines de juillet, après avoir protégé sa fuite ; le 27 avril, 20 jours après le début du génocide, elle a accueilli à lÉlysée, au Quai dOrsay et, semble-t-il, à Matignon, le ministre des Affaires étrangères du GIR Jérôme Bicamumpaka, accompagné dun leader réputé pour son fanatisme ; ce, malgré les avertissements dimportantes organisations des droits de lHomme, qui ont mis en garde lexécutif français contre la caution ainsi apportée aux autorités en train dadministrer le génocide ; la Commission se demande par ailleurs pourquoi les quelques voix discordantes au sein de la diplomatie française nont pas été entendues ;
3.3 LÉlysée, qui disposait dune grande influence sur le GIR, ne sen est guère servi pour linciter à cesser les massacres ; le Président de la République, selon Patrick de Saint-Exupéry, et son Monsieur Afrique Bruno Delaye, selon Alison Des Forges, auraient tenu des propos marquant une indifférence quasi totale au fait quun génocide puisse être en train de se commettre en Afrique, comme sil sagissait de quelque chose de banal ;
3.4 Selon lhistorien Gérard Prunier, lÉlysée aurait subordonné la mobilisation diplomatique contre le génocide à la réalisation dobjectifs géopolitiques comme la réhabilitation du maréchal Mobutu, allié de la France ;
3.5 Selon Alison Des Forges, la représentation française à lONU, en bons termes avec celle du GIR, aurait mobilisé son influence et ses relations au siège des Nations unies pour infléchir linformation du Conseil de sécurité, favorisant la perception dun conflit armé plutôt que celle dun génocide en cours ; une telle présentation a été celle proposée pendant plusieurs semaines par le Secrétariat général ; elle a concouru à limiter et retarder les réactions internationales contre le génocide.
4. Sagissant des médias et de lidéologie, la Commission constate :
4.1 LÉlysée et le gouvernement ont diffusé aux médias des versions officielles qui ont évolué au fil des événements, notamment lors de la préparation et de la mise en uvre de lopération Turquoise ; mais lampleur des massacres a tellement frappé les esprits des journalistes présents sur le terrain quils ont dans lensemble, de lavis de la Commission, tenu à informer librement de ce quils voyaient et entendaient ; quatre jours après le début des tueries, des journalistes parlaient de génocide ; dans les trois premières semaines, des chercheurs avertis de lhistoire sociale du Rwanda démasquaient la caricature ethniste et offraient une explication cohérente des causes profondes du génocide ; la plupart des envoyés spéciaux ont fait leur travail et rapporté les faits observés, dans la mesure de leurs possibilités daccès à linformation et souvent en prenant des risques ; ils nont pas déguisé la responsabilité de la France depuis 1990 ;
4.2 Cependant, certains de ces envoyés spéciaux, des éditorialistes et des rédactions parisiennes ont eu tendance à répercuter le discours de diabolisation du FPR, ladversaire du camp génocidaire à tomber par exemple dans le piège des " éléments infiltrés " qui justifiaient les " réactions spontanées " de la population ; cela empêchait de percevoir la planification du meurtre et préparait le terrain à la thèse du " double génocide " ; il nest pas douteux que lavance de larmée du FPR et la " libération " des territoires se sont accompagnées de violences, mais celles-ci nont pas fait lobjet de vraies enquêtes et la presse sest trop souvent fait lécho de bruits non vérifiés ; on peut reprocher à la presse de navoir pas compris que le déchaînement meurtrier imposait un choix, et non un balancement entre " deux parties au conflit " ; concrètement, et quoi que lon pense de ce mouvement, cétait le FPR qui sauvait les survivants ;
4.3 Les principaux quotidiens ont continué, même pendant lopération Turquoise, à diffuser dans leurs colonnes le discours ethniste souvent dans sa version la plus absurde, nilotique et hamite , alors que, dans les mêmes colonnes, une explication scientifique de la fabrication de lethnisme avait été donnée ;
4.4 À côté des journalistes lucides et courageux qui surent ne pas céder aux pressions, dautres ont trop souvent suivi le " politiquement correct " véhiculé par le pouvoir, contribuant à la mauvaise information de lopinion publique française qui a elle-même tardivement et insuffisamment réagi ;
4.5 Du côté des décideurs politiques et militaires français engagés depuis trois ans et demi dans une alliance avec les forces rwandaises qui allaient commettre le génocide, la propagande a continué : diabolisation du FPR (les " Khmers noirs "), description raciste des Tutsi, dépeints en envahisseurs avides, cruels et dominateurs, justification de la "guerre" par la légitimité du " peuple majoritaire " et le combat contre " lexpansionnisme anglo-saxon ", etc. ; tous ces éléments de propagande se sont encore affichés complaisamment lors de laudition de ces responsables par la Mission dinformation parlementaire.
5. Sagissant de lopération Turquoise, la Commission constate :
5.1 Il apparaît qua existé parmi les décideurs tant politiques que militaires ce que Patrick de Saint-Exupéry appelle la " ligne Mitterrand ", visant au départ, sous un prétexte humanitaire, ce quÉdouard Balladur a qualifié d" expédition coloniale " : une partition du Rwanda au bénéfice du camp du génocide en déroute ; cette option sest heurtée à une " ligne Balladur ", nettement moins agressive ;
5.2 Même si la " ligne Mitterrand " ne la pas emporté, le format de lopération était bien plus celui dune expédition militaire que celui dune opération humanitaire ; sur le terrain, des militaires tenants de la " ligne Mitterrand " ont pu tenter de faire prévaloir leur optique va-t-en-guerre, mais la chute de Kigali a rapidement changé le contexte ;
5.3 La " Zone humanitaire sûre " (ZHS) est créée le jour même de la prise de Kigali par le FPR ; il nest guère contesté que cette zone nétait pas très sûre pour les survivants, dans la mesure où aucun responsable, leader ou exécutant du génocide ny a été arrêté ; de même, la Radio des Mille Collines qui encourageait les massacres et assassinats na pas cessé démettre ; ceux-ci ont continué, tandis que les FAR continuaient de recevoir des armes via laéroport de Goma ;
5.4 Il nest pas contesté que la ZHS a servi de couloir de passage pour des éléments du GIR et des FAR ;
5.5 la Commission a recueilli une série de témoignages qui portent des accusations très graves contre certains militaires français, accusés non seulement davoir laissé en paix les génocidaires, mais encore davoir coopéré avec eux, voire de les avoir incités à " finir le travail ", en "purgeant" notamment la poche de résistance de Bisesero, ou davoir aidé les miliciens à débusquer les survivants, ou de leur avoir livré des rescapés ; bien que ces témoignages évoquent un degré de complicité quelle ne pouvait imaginer, la Commission estime quil nest pas possible de ne pas chercher à les vérifier, dans la mesure où des survivants et des miliciens repentis soutiennent des récits concordants.
6. Sagissant de la hiérarchie des responsabilités, la Commission constate :
6.1 En tout ce qui précède, que des enquêtes complémentaires doivent continuer à vérifier, la responsabilité de lancien Président de la République François Mitterrand, chef des Armées, apparaît la plus grande ;
6.2 Cette responsabilité constitutionnelle nexclut pas celle des autres membres de lexécutif et celle du Parlement ;
6.3 Les chefs militaires, lamiral Lanxade, les généraux Quesnot et Huchon, ont eux aussi joué un rôle déterminant, dautant plus quils géraient linformation du Président, " partageant et orientant " sa réflexion, selon lexpression dAlison Des Forges ;
6.4 Cependant, la doctrine même et la pratique des Forces spéciales surreprésentées dans le haut commandement nest pas incompatible avec ce quelles appellent les " hiérarchies parallèles ". Il faudrait sinterroger sur le rôle exact tenu par des officiers "charismatiques" comme les généraux Lacaze et Heinrich ;
6.5 Plus généralement, la Commission constate un usage abusif et hyperextensif du " Secret Défense ", qui représente en soi un danger pour la démocratie et les institutions républicaines.
La Commission denquête citoyenne demande dores et déjà :
que soient examinées avec sérieux la somme déléments pouvant laisser présumer limplication active de certains Français, responsables ou subalternes, dans le génocide des Tutsi en 1994 ; limpunité en ce domaine nest pas envisageable ; si ces éléments étaient confirmés, la saisine des instances judiciaires serait nécessaire, quil sagisse du Tribunal pénal international dArusha ou de la justice française ;
que des députés exercent aussi leur rôle constitutionnel de contrôle de lexécutif, sans se contenter des résultats dune Mission dinformation parlementaire qui a esquivé les sujets les plus sensibles ; sur le thème du rôle de la France dans le génocide de 1994, linformation du Parlement ne peut être considérée comme close ;
que les partis politiques et le mouvement citoyen considèrent la dangerosité dévolutions organisationnelles récentes, telle la constitution du Commandement des opérations spéciales en une sorte de " légion présidentielle " ;
que la France, dans ses rapports avec le peuple rwandais, se dispose à tirer les conséquences de ceux de ses actes qui seront avérés, parmi ceux qua évoqués la Commission ou qui pourraient encore se révéler.
survie-france.org (d'où vient le texte)
Traffic a fric
Infosuds N30 - Eté 2001
SOMMAIRE DU DOSSIER AFRIQUE (non complet, la suite ces prochains jours)
Pas de responsables ni de coupables
Les résistances se développent
La dévaluation du franc CFA ou l'annexion commerciale Instauré en 1960
Comment calculer le taux de corruption ?
L'indépendance des pays francophones d'Afrique noire en 1960 a été relayée en France par la logique d'aide au développement et de soutien à la francophonie. Cet alibi a permis de rançonner ces pays durant quarante ans tout en accordant l'impunité aux plus hauts responsables français et à leurs dictateurs africains. Les profits étant immenses, l'enjeu peut alors justifier tout et n'importe quoi, jusqu'au génocide... Encore abrité aux frais des contribuables derrière deux assurances tous risques (financière, la zone franc et politique, les accords de défense), ce système évolue avec la "libéralisation" vers une sous-traitance généralisée de l'Afrique par des groupes privatisés : multinationales, mercenaires et réseaux d'influences.
Depuis sa fusion en mars 2000, le groupe Total-Fina-Elf est devenu la première entreprise privée française et le quatrième pétrolier mondial : 50 milliards de francs de profits, 761 milliards de chiffre d'affaire (soit la moitié du budget de la France), 250 000 employés ! Ce monstre industriel est surtout actif en Asie (notamment en Birmanie) avec Total, en Afrique du Nord (particulièrement en Libye) avec Fina et en Afrique noire (Angola, Congo, Gabon, Cameroun, Tchad...) avec Elf. Les affaires judiciaires de cette dernière ont révélé une partie de l'ampleur de la corruption pour la course à l'or noir : trafic d'armes (par exemple avec les deux parties en guerre depuis 1975 en Angola), constitution de caisses noires pour impliquer certains hauts fonctionnaires (à travers la Banque française intercontinentale et ses 1,5 milliards de francs par an), faux-monnayage ("emprunt Joséphine" de 2 milliards de francs via le Tchad en 1998), contribution aux partis politiques de gouvernement (8OO millions de francs par an), utilisation de prostituées de luxe (comme pour l'ex-président du Conseil constitutionnel, Roland Dumas)... Généralisées chez tous les pétroliers, ces manipulations se sont institutionalisées en France avec la création en 1965 de la société nationale Elf-Aquitaine (privatisée en 1994), conçue comme une véritable annexe des services secrets en Afrique. Cette tendance militaro-affairiste concerne à l'occasion d'autres multinationales : Bolloré-Rivaud (transport maritime), Bouygues (bâtiment), Castel (bières), Thomson (électronique), Suez-Lyonnaise-Dumez (eaux), Dassault (aviation)... Comme l'affirmait Georges Clémenceau, "une goutte de pétrole vaut une goutte de sang".
En 2000, l'implantation de l'armée française en Afrique est encore structurée par 8 "accords" de défense (Centrafrique, Cameroun, Comores, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Sénégal, Togo), plus 25 accords d'assistance militaire technique effectifs* et des troupes dans 5 pays (570 hommes en Côte d'Ivoire, 3000 à Djibouti, 580 au Gabon, 1060 au Sénégal et 980 au Tchad). Si leur nombre sera ramené à 5600 d'ici 2002, c'est parce que l'armée française renforce en même temps ses capacités de "projection" rapide et a créé 10 écoles d'officiers à vocation régionale. Elle parraine également depuis 1997 l'intervention de supplétifs africains (Angola, Burkina, Gabon, Mali, Sénégal, Tchad, Togo) dans les conflits de Centrafrique, du Zaïre, du Congo-Brazzaville, du Libéria et de Guinée-Bissau. Depuis sa spécialisation, l'armée française souhaite moderniser son image en encadrant les "ingérences humanitaires" en Afrique. Elle fait alors sous-traiter les guerres locales par des détachements indigènes, sources de nouveaux contrats d'armement, d'entrainement et de sécurité. Ce qui réduit ses coûts tout en augmentant ses marges bénéficiaires. Un simple adjudant français touchait en 1997 une solde mensuelle nette de 41 439 FF, sans compter les primes et la montée en grade plus rapide en "outre-mer". De plus, l'armée se donne toujour carte blanche sur le continent noir en essayant de s'octroyer l'impunité totale sur ses exactions. Lors de la constitution en juillet 1998 de la Cour pénale internationale (destinée à sanctionner les crimes de guerre, de génocide ou contre l'humanité), l¹Etat-major français a fait imposer l'article 124 permettant aux pays qui le souhaiteraient d'être exonérés durant sept ans de toute incrimination pour crime de guerre...
Traditionnellement chargés d'effectuer les basses besognes du régime, les services secrets ont tendance à se multiplier et à se libérer de plus en plus du cadre officiel pour s'adapter aux intérêts des différents réseaux. - Le plus important d'entre-eux est la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure depuis 1982, ex-SDECE). Cette branche militaire rend compte directement au président de la république, dispose de plus de 4000 agents et d'un budget d'au moins 1,5 milliard de francs. C'est elle qui chaperonne chaque chef d'Etat d'Afrique noire francophone par un de ses officiers, le "conseiller-présidence", et qui forme les gardes présidentielles locales. Son service Action (le 11e Choc) et ses CRAP (Commandos de recherche et d'action en profondeur) renforcent le potentiel incontrôlé du domaine réservé de l'Elysée, qui, entre autre, a permis à Mitterrand de mener sa guerre privée lors du génocide au Rwanda en 1994. - La DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense) a été créée par Mitterrand en 1981. Il s'agit du service le plus secret et le plus puissant de l'appareil d'Etat, composé d'environ 1600 gradés de l'infanterie de marine (l'ex-coloniale) et chargé du contrôle des trafics d'armes et du recrutement de mercenaires (notamment parmis des membres du Front National). Elle fut particulièrement active lors des guerres civiles au Congo-Brazzaville et au Zaïre en 1997. - La DRM (Direction du renseignement militaire) fondée par Pierre Joxe en 1992, comprend quelques 1600 spécialistes en technologies de pointe qui dépendent directement de l'Etat-major des armées. A travers le COS (Commandement des opérations spéciales), ce service se préoccupe avant tout de renseignements stratégiques et d'actions psychologiques pour soutenir les entreprises françaises dans leur chasse aux contrats. - La DST (Direction de la surveillance du territoire) est un vieux service de police remanié en 1944 et destiné ordinairement au contre espionnage sur le sol français. Mais, depuis les passages de Pasqua au ministère de l'intérieur (en 1986-1988 et 1993-1995), une partie de ses 1500 inspecteurs s'intéressent de plus en plus aux affaires africaines grâce à la "lutte contre le terrorisme", notamment en Algérie et au Soudan. Elle peut compter sur l'appui du SCTIP (Service de coopération technique internationale de police, chargé de former les flics africains), et plus ponctuellement, sur la police judiciaire et la police politique (les Renseignements généraux) pour la constitution de dossiers compromettants. La privatisation de l'horreur Les expéditions punitives sont désormais réservées aux commandos clandestins (13e Régiment de dragons parachutistes, 1er Régiment parachutistes d'infanterie de marine, 2e Régiment étranger de parachutistes...) et les guerrillas aux bandes de mercenaires. Leur utilisation par tous les gouvernements français remonte à l'intervention des "affreux" de Bob Denard dès 1960 au Katanga dans l'ex-Congo Belge. D'abord auxilliaires des "guerres civiles" post-coloniales, ces tueurs à gages privés se sont progressivement organisés en de véritables multinationales qui vendent leurs "services de sécurité" aussi bien pour la protection d'installations pétrolières que pour certains gouvernements, qui souhaitent se déresponsabiliser des conséquences de "conflits de basse intensité". Ce qui transforme l'enjeu politique de la paix civile en enjeu commercial, ouvert à la concurrence. Ces "opérations" sont cependant guidées directement par les Etats, notamment par la France grâce à la DPSD, qui a recruté une centaine de criminels de guerre Serbes (15 000 FF par mois... pour leur expérience de l'armement soviétique) afin de soutenir jusqu'au bout Mobutu au Zaïre en 1997. Les sociétés de mercenaires prospèrent donc tranquillement en France, dont : - le Groupe 11 (transformé en International Logistic Security), dirigé par Nicolas Courcelle (frère de Bernard, officier de la DPSD et chef du service de sécurité du FN, le DPS), ancien légionnaire parachutiste et responsable départemental du FN Jeunesse. - Eric SA, fondée par Jean-Louis Chanas, ex-officier de gendarmerie et ex- responsable du service Action de la DGSE, qui recrute parmi d'anciens légionnaires et parachutistes. - SECRETS (Société d'études, de conception et de réalisation d'équipements techniques) créée par Paul Barril, ancien capitaine de gendarmerie de la "cellule antiterroriste" de l'Elysées, proche de Mitterrand et de Pasqua, fortement impliqué dans le déclanchement du génocide au Rwanda. - Ambassy et Ambassy Conseil, gérés respectivement par Gilles Serreau et Gilles Soulas, pivot de la propagande néo-nazie en France à travers la société de diffusion SEDE et la librairie Aencre. - Octogone, mené par un ami de Pasqua, Henri Antona, et émanation de la société Tecni, sous-filiale de Vivendi (ex-Générale des Eaux). - Securance International, organisée par l'ex-n°2 des gendarmes de l'Elysées Robert Montoya, spécialiste des écoutes téléphoniques pour Mitterrand...
Pas de responsables ni de coupables
La plupart des administrations-clés (Elysée, Défense, Intérieur, Finances, Coopération, Affaires étrangères...) organise le pillage de l'Afrique. Leurs objectifs sont de garantir les ressources naturelles et énergétiques de l'Etat, d'entretenir les relais d'accès (armée, réseaux, multinationales...) et de dégager des sources de financement occultes pour perpétuer ce système. D'ou les innombrables exactions en Afrique et la corruption généralisée des élites. La mort de son initiateur, Jacques Foccart (l'ombre de de Gaulle) en 1997, n'a pas éliminé cette logique, bien au contraire. Les camps ne se divisent pas ici en droite/gauche, mais plutôt entre "souverainistes" (partisans de la superpuissance de la France) et "atlantistes" (partisans de l'OTAN, le pacte militaire occidental). Le réseau Foccart s'est différencié avec la modification atlantiste de Giscard en 1974, puis s'est diversifié avec les réseaux souverainistes de Mitterrand et son fils Jean-Christophe en 1981, de Pasqua et son fils Pierre-Philippe en 1986, pour se démultiplier ensuite selon les intérêts personnels : au PS avec Michel Charasse (à travers le budget de la coopération), Paul Quilès (défenseur de l'armée au Rwanda), Laurent Fabius (connaisseur des milieux pétroliers), Jean-Pierre Chevènement (admirateur des réseaux Pasqua), Michel Rocard (qui se veut le monsieur Afrique du parlement Européen) ; au RPR avec Chirac (héritier du foccartisme), Jacques Godfrain (émissaire auprès des dictateurs africains), Jacques Toubon (président du Club 89, l'école du foccartisme) ; à DL avec Alain Madelin (intéressé par l'Afrique australe) et à l'UDF avec Hervé de Charette (successeur du réseau Giscard). Mais parmi ces prédateurs de l'Afrique, celui qui maîtrise réellement ce "domaine réservé" reste le président de la république française. Chef de l'Etat, responsable des armées et de l'arme nucléaire, titulaire d'un des cinq sièges du Conseil de sécurité de l'ONU et grand patron de la "cellule africaine", ce dignitaire est pourtant irresponsable de ses actes politiques (sauf en cas de haute trahison), conformément à son immunité prévue par la constitution.
Les résistances se développent
Les résistances africaines sont nombreuses mais n'intéressent que rarement les médias officiels. Certains journalistes africains ménent un travail d'investigation local trop génant, comme le camerounais Pius Njawé du Messager, emprisonné fin décembre 1997 pour 2 ans après avoir relaté un malaise cardiaque du dictateur Biya ! D'autres, tel le burkinabé Norbert Zongo de L'Indépendant, fut éliminé dans un "accident de voiture" en décembre 1998. Le député tchadien Ngarléjy Yorongar ose rendre public la corruption organisée par Elf dans son pays : il est incarcéré en juin 1998 et libéré malade en février 1999, grâce à la pression internationale. Combats analogues pour l'avocat des victimes du régime, le djiboutien Aref Mohamed Aref (radié à vie en juillet 1999) ; l'écrivain camerounais Mongo Béti, initiateur en 1998 de la campagne internationale : "Pas de liberté, Pas de pétrole" ; l'opposant politique guinéen Alpha Condé, régulièrement arrêté à chaque élection, qui a bénéficié d'une mobilisation de comités de soutien dans toute l'Afrique de l'Ouest en 1998 (libéré) ; ou l'infirmière rwandaise Yolande Mukagasana, rescapée du génocide, qui entreprend de collecter et de publier des témoignages (Les blessures du silence) sur le pire des crimes, afin de délivrer la souffrance des victimes et la mémoire des bourreaux par la vérité. Les refus massifs s'expriment également et remportent des victoires. On se souvient de l'abolition de l'apartheid Sud Africain par l'ANC en 1994 et de la chute de Mobutu par l'action d'une coalition de pays d'Afrique australe en 1997. Au Niger, l'ex-putschiste Maïnassara, haït du peuple, est abattu en avril 1999 lors d'un putsch. Le président intérimaire, le commandant Wanké, n'a pas l'accord de Paris, qui gèle ses crédits. Wanké restaure quand même les libertés publiques, récupère pour le Budget 50 millions de francs chez les corrompus, ouvre des élections libres avec une nouvelle constitution où les militaires sont inéligibles, puis rentre dans sa caserne ! Action identique en Guinée-Bissau voisine, ravagée par des troupes franco-sénégalaise, sous prétexte de détruire les refuges des rebelles de Casamance pour s'emparer de ses réserves de pétrole... En mai 1999, le dictateur Vieira est exilé par le général Mané avec le soutien de la population et restitue les pouvoirs démocratiques aux civils. Cette même année, la pression populaire commencait à s'organiser au Burkina contre Compaoré, l'assassin de Sankara. L'Elysée parle désormais du syndrome Wanké... Côté occidental et français, de nombreuses ONG (Organisations non-gouvernementales) mènent diverses campagnes pour interdire le recrutement de mercenaires, limiter les ventes d'armes légères, taxer les paradis fiscaux, annuler le surendettement, dynamiser la Cour pénale internationale... Si ces actions peuvent adoucir certaines perversités, elles n'en suppriment pas pour autant les risques de normalisation : les mercenaires et les armes continueront toujours à se vendre clandestinement, l'argent sale se blanchira d'une manière ou d'une autre, l'annulation des dettes n'est souvent qu'une remise à zéro des compteurs et la justice demeure sélective... Ces mesures ont du moins le mérite de dénoncer des pratiques scandaleuses et d'augmenter les pressions contre une délinquance financière de plus en plus opaque (une enquête judiciaire prend 7 ans en moyenne pour remonter toutes les filières). La disparition du ministère de la coopération (ex-ministère des colonies), absorbé en février 1999 par le ministère des affaires étrangères, ne signifie pas la fin de "l'amitié franco-africaine" obligatoire. Malgré leur misère, les populations africaines commencent à s'émanciper dans l'indifférence générale. Tant que la logique du profit reste acceptée, l'exploitation et la répression du plus faible par le plus fort dominera, en Afrique ou ailleurs. Si les populations occidentales ne veulent pas être asservies progressivement par la marchandisation, elles devront aussi imposer la condamnation de tout colonialisme, individuel ou collectif, en dédommageant au moins les victimes sur le butin des responsables.
Téka *
accords d'assistance militaire technique franco-africains : Algérie, Bénin, Burkina, Burundi, Centrafrique, Cameroun, Comores, Congo-Brazzaville, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Guinée Equatoriale, Madagascar, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Niger, Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo, Tunisie et Zaïre.
Sources : - François-Xavier Verschave, "La françafrique, le plus long scandale de la République", Stock, décembre 2000 - François-Xavier Verschave, "Noir silence", Les arènes, mars 2001 (le président de l'association Survie, François-Xavier Verschave, a été accusé de diffamation sur ses livres par les dictateurs du Congo-Brazzaville, du Gabon et du Tchad. Ces derniers ont été débouté de leurs plaintes par la justice française le 25 avril 2001) - Alternatives économiques, mars 2001 - Le Monde Diplomatique, avril 2001
La dévaluation du franc CFA ou l'annexion commerciale Instauré en 1960
Le franc CFA est rattaché au franc français par une parité fixe (1 FF = 100 FCFA) gérée par le Trésor public, qui administre obligatoirement 65% des réserves en devises des 14 pays de la zone CFA. Si l'absence de réglementation du change encourage quotidiennement différents trafics, la dévaluation de 50% du franc CFA en janvier 1994 a permis une gigantesque fraude légalisée sur la zone. Tout d'abord par la fuite des capitaux CFA des élites locales (5 milliards de francs au premier trimestre 1993) et par la spéculation (exemple : une entreprise française achète à crédit un bien privatisable pour 10 milliards FCFA. Elle convertie son emprunt par 100 millions FF, qui sont transformés, après dévaluation, en 15 milliards FCFA !). De nombreux secteurs rentables de l'économie africaine ont ainsi été accaparés, comme les transports et les tabacs du Sénégal par le groupe Bolloré... Que va devenir le franc CFA aprés la transformation en 2002 du franc en euro ? Il serait surprenant que l'Etat français ne préserve ce moyen hégémonique sur toute une partie de l'Afrique... Quant aux pays de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest), ils ont prévu depuis janvier 2000 de devenir coresponsables de leur argent en créant une monnaie commune d'ici 2004.
Comment calculer le taux de corruption ?
Etabli depuis 1991 par le PNUD (Programme des Nations unis pour le développement), l¹Indicateur du développement humain par habitant (IDH) intègre l¹effort d¹éducation et l¹espérance de vie en plus de la production (PIB ou répartition des richesses). Ce qui permet de percevoir si les ressources produites contribuent au bien-être des populations ou des élites... Le rapport entre PIB et IDH pour 15 pays d¹Afrique francophone est alors impressionnant ! Si l¹on y compare l¹aide française moyenne par habitant de 1992 à 1997 avec le montant par habitant des exportations, le taux de corrélation (niveau de dépendance entre ces deux phénomènes) est de 81%. La France aide d¹autant plus un pays qu¹il est riche en matières premières... Si l¹on compare ensuite, pays par pays, l¹aide française par habitant à l¹efficacité de la politique globale de santé et d¹éducation, la corrélation est négative à 53% ! En perpétuant le mythe du développement, l¹aide publique française dissimule une entreprise d¹uniformisation culturelle et de guerre économique. La françafric révèle cependant une partie de son taux de corruption (plus un pays est aidé, plus il est volé) et de violence (les dictatures et les multinationales se nourissent de la corruption). Tête de liste du PIB, le Gabon mesuré par l¹IDH recule ainsi de 71 places, ce qui fait réagir son PDG Omar Bongo en 1995 par le projet de créer pour la fancophonie son propre indice de développement... des affaires. La technique de la "démocratie apaisée" Issue de la "démocratisation" conseillée lors du sommet franco-africain de La Baule en 1990, cette dernière trouvaille de la francophonie est appliquée depuis 1997 au Cameroun, Togo, Gabon, Guinée, Djibouti. La stratégie de la "démocratie apaisée" consiste à prendre l'opposition politique africaine en otage par un jeu institutionnel manipulé par des "spécialistes" français. Les campagnes électorales de dictateurs sont médiatisées par des publicitaires (comme Jacques Séguéla, le faiseur d'image de Mitterrand, au Togo et au Cameroun). Des magistrats et des universitaires partent en vacances gratos pour officiellement "observer" des scrutins truqués qu'ils cautionnent, ou pour rédiger des constitutions qui réservent l'essentiel du pouvoir au président (tel l'avocat Jacques Vergès au Gabon). Si l'opposition refuse la tricherie, elle est qualifiée d'anti-démocratique, voire de terroriste en cas de contestation aggravée. Sinon, elle s'incorpore en douceur dans une bureaucratie subalterne. L'opposition n'a alors comme choix politique que la répression ou la collaboration. Mais comme l'affirme Jacques Chirac dans le Canard enchaîné du 28/07/1999 : "Il faut bien que les dictateurs gagnent les élections, sinon ils n'en feront plus !"
L'Etat français a élaboré un système sophistiqué de corruption en Afrique fondé sur l'Aide publique au développement (APD). Sur 36 milliards de francs en 1997 (soit 0,44% du PIB), à peine 2 ou 3% de cette APD sert à lutter contre la pauvreté ! Effectivement, entre 1989 et 1998, la France a tiré de l'Afrique 190 milliards de francs de bénéfices, alors qu'elle ne lui a apporté, y compris les annulations de dettes, que 140 milliards de francs d'aide... N'étant "contrôlée" par la Cour des comptes que depuis 1996, deux conditions restent essentielles à son détournement : la convertibilité du franc CFA et les paradis fiscaux. D'où son exercice exclusif dans la "zone CFA" (Communauté financière africaine concernant 14 pays francophones*), à travers 4 procédés : - la coopération culturelle, scientifique et technique de conseillers et chercheurs en tout genre chargés d¹occidentaliser les pays du Sud, est actuellement en voie de réduction par sa concurrence avec les nombreux diplômés africains au chômage (le nombre de coopérants est passé ainsi de 25 000 en 1970 à 2000 trente ans après). - les aides hors projet (à l'ajustement structurel, à la balance des paiements...) sont des soutiens d'urgence du gouvernement français au régime d'un chef d'Etat africain. Les CFA fournis sont immédiatement convertis en francs et partagés entre les deux parties sur des comptes numérotés à l'étranger. Pour ne citer que le cas du Togo, l'aide cumulée d'une trentaine de milliards de francs jusqu'en 1985 transitait par la société Fertilizer Corporation à Panama, avec des escales en Suisse (sur 47 comptes bancaires) et à Paris, au siège de l'Office des phosphates togolais. - les aides-projets sous forme de grands contrats de fournitures ou d'équipements rassemblent l'Etat français, un Etat africain et une multinationale. Ces aides-projets ne font l'objet ni de mise en concurrence, ni d'étude d'impact, encore moins de l'équivalent d'une enquête d'utilité publique. D'où les projets ruineux, inadaptés, inachevés ou délabrés faute de capacité de maintenance (comme l'université Bouygues de Yamoussoukro, la cimenterie de l'Ouest africain de Lomé, la raffinerie du Togo...). Mais les commissions accordées aux responsables sont fabuleuses. Souvent, les surfacturations en doublent le coût. Parfois, le projet est "complété" quatre ou cinq fois. Ou encore, il est fictif et le bénéfice est alors de 100%. Grâce à Pasqua depuis 1993, les armes et les équipements policiers peuvent bénéficier du Fond d'aide et de coopération, et sont donc comptés en APD ! Généralement, l'aide prend la forme d'un prêt "bonifié", sorte de contrat de pré-vente avec réduction d'intêrets et différé de remboursement. Tous ces contrats bénéficient de la garantie de la Coface (Compagnie française d'assurance du commerce extérieur). Ses opérations avec les pays "à risque" sont elles-mêmes garanties par l'Etat français. Ce sont donc les contribuables qui ont épongé les naufrages financiers des multinationales françaises en Afrique, à hauteur de 172 milliards de 1981 à 1994 ! Et ces multinationales se remboursent en plus sur les rentes du client : le Congo-Brazzaville a ainsi prévendu son pétrole jusqu'en 2001 à Elf et un pays aussi potentiellement riche que la Côte-d'Ivoire est étranglé par une dette extérieure égale à deux ans de travail de toute sa population (2 fois son PIB). - le traitement de la dette décidé à Paris consiste en des rééchelonnements ou des annulations partielles, calculés également en APD. Le ministère des finances compense alors les échéances annulées des Etats endettés sur le montant de leurs aides programmées, qui ne seront pas données. Cela jusqu'en 2018 au moins et à raison de plusieurs milliards de francs par an (6 milliards en 1996). Ces "allègements" sont l'occasion de multiples malversations : on rachète pour presque rien une créance sur un débiteur pas ou peu solvable, et subitement cette créance reprend de la valeur grâce à une opération d'apurement décidée au Club de Paris ou au Club de Londres (les consortiums de créanciers publics ou privés). Ou bien une remise ponctuelle est accordée par Paris à un pays africain, à condition de servir au règlement immédiat d'un créancier français privé. Une autre pratique courante est de transformer la dette en participations dans les services publics africains privatisables (eau, électricité, téléphone...). L'Etat africain peut également jouer de son insolvabilité, qui n'est jamais totale puisqu'on lui accorde régulièrement des rallonges financières : il rembourse qui il veut, quand il veut, moyennant chaque fois un bakchich. * zone CFA : Bénin, Burkina, Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Côte-d'Ivoire, Gabon, Guinée Equatoriale, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo.
La
France et le Rwanda :
pour un examen de conscience citoyen