ALIMENTAIRE mon cher Watson

Qui n'a pas ressenti quelques hésitations aux rayons des supermarchés à la pensée des dérives dangereuses que prend notre nourriture quotidienne. Après les scandales de la vache folle, de la fièvre porcine, du poulet à la dioxyne et l'arrivée des OGM dans le panier du consommateur, l'acte naturel de se nourrir comporterait-il des risques inéluctables ? S'empoisonner de manger deviendrait-il, au même titre que les accidents de la route, une fatalité ?

Des chiffres qui peuvent nous laisser rongeurs ou macrobiotes

Depuis trois décennies, l'alimentation moderne est devenue un marché de grande consommation ; 60% des français achètent leur nourriture quotidienne en Grande Surface. Du champ à l'assiette du consommateur, les produits de la nature sont convertis dans les chaînes de fabrication des entreprises agro-alimentaires en produits quasi-manufacturés; 75% de notre nourriture est d'origine industrielle, conditionnée dans les filières de transformation toujours plus complexes.

Ainsi le lait, enrichi en oligo-éléments, vitamines et fibres solubles, devient un Alicament de la firme Nova. De la pomme-de-terre de Bretagne est transmutée en pommes-d'or ou chips de Flodor. Des poissons de nature et d'origines inconnues, réduits tout d'abord en purée sont reconstitués en bâtonnets Surumi, colorés, aromatisés à la chair de crabe...etc.

De la Farmafood, marché juteux de 35 milliards de dollards, aux produits allégés, cuisinés, recomposés voilà l'essentiel des dernières prouesses de l'industrie ago-alimentaire. 1% du budget des firmes est consacré à la confection de notre nourriture post-nature. Dans la sécurité de leurs laboratoires de recherche et de leurs usines &laqno;Ultra-Propres», physiciens, chimistes, ingénieurs et techniciens bio-technos, élaborent dans leurs cornues les recettes des nouveaux produits alimentaires, pour le plaisir de nos papilles gustatives, notre bénéfice santé...etc.

Cependant, malgré tous les efforts consacrés par les entreprises de l'agro- business à la sécurité alimentaire de leurs produits, (0,35% de leurs dépenses), au bout des chaînes de transformation et des filières de chosification du vivant, les risques d'intoxication alimentaire ne peuvent être nuls

L'industrie agro-alimentaire ne fabrique pas des oeufs en barres destinés à la restauration rapide sans casser des oeufs, lorsqu'on usine du vivant... Elle ne fait pas du fromage à la louche-centrifugeuse sans que ne se développent des micro-organismes pathogènes tels le staphylocoque doré, la salmonelle, la listéria monocytogène, malgré les auto-contrôles rendus obligatoires pour les fabricants depuis 1998. Non plus, elle ne peut pas transformer de paisibles herbivores en carnivores, sinon en cannibales, en leur administrant des farines animales à base de cadavres et déchets d'abattoir, sans les déconnecter de la réalité des étables et des herbages. Décollée du plancher des vaches, la &laqno;maladie de la vache folle» atteindrait l'Homme et la Femme, c'est à dire le consommateur, sans que nous ne connaissions encore la durée maximale d'incubation et par conséquent le nombre potentiel de victimes.

Quelles sont les raisons profondes de ces psychoses s'interrogent les spécialistes patentés de la psycho-socio, devant l'inquiétude et la colère des consommateurs. En effet, comme le constatait Jean Glavany, ministre PS de l'agriculture, &laqno;Le tabac ou les accidents de la route qui font plus de victimes ne provoquent pas de psychoses 1».

De quoi aurions nous peur ? Il n'y a que 40 000 cas d'intoxications alimentaires collectives recensées dans l'année, et quelques 6 000 agents de l'Etat, répartis dans plusieurs ministères pour veiller sur la salubrité de plusieurs 100 000 000 de tonnes de produits alimentaires consommés chaque jour.

&laqno;Dans les faits, la sécurité alimentaire n'a jamais été aussi grande 2»... Même si les allergies alimentaires ont augmenté de 500% en dix ans, touchant pas moins de 3,6% de la population totale...

Avec l'OCNI, la vérité est ailleurs

Allons-nous nous laisser effrayer pour si peu, par les avatars inhérents à notre alimentation post-naturelle ? Tais-toi et mange ?

Alors dans le silence et le recueillement nécessaire à le recherche difficile du meilleur rapport qualité-prix, remplissons nos caddies d'OCNI, Objets Comestibles Non Identifiés vendus par les Grandes et Petites Surfaces. Durant son parcours de transformation qui va des chaînes de fabrication à celles de la distribution, l'aliment moderne est devenu un objet au caractère surnaturel, une nourriture quasi-divine étalée dans les travées des nouveaux temples de la consommation de masse.

Qu'est le poulet devenu, dans la vitrine réfrigérée du rayon volailles, et le cochon et la vache ? Calé dans la barquette de cellulose aseptisée, enveloppé sous un film protecteur et transparent de plastique, sans cou, ni pattes, l'animal &laqno;dézingué» a subi le &laqno;désign-carné» des professionnels en blouses blanches de la beaf-connection. L'animal est en somme de plus en plus absent de la viande, de même que le sang et la mise à mort 3».

Suspendu hors du temps par l'emballage, protégé de la corruption et de la mort par le conditionnement, l'aliment moderne lyophilisé, pasteurisé, stérélisé, &laqno;désingn-carné», n'est pas mort. Il est devenu une chose, un objet enchanté de la techno-science.

Roland Barthes avait perçu dans les années soixante le caractère pour le moins surnaturel de l'objet technologique: &laqno;...Il ne faut pas oublier que l'objet est le meilleur messager de la surnature. Il y a facilement dans l'objet une perfection et une absence d'origine, une clôture et une brillance, une transformation de la vie en matière... et pour tout dire un silence qui appartient à l'ordre du merveilleux 4».

Séduisant également par sa facilité d'utilisation et ses gains de temps précieux de notre quotidien stressé, l'OCNI, en barquette d'aluminium, glissé dans le four à micro-onde, en sachet en poudre jeté dans l'eau bouillante, se métamorphose sous nos yeux, en quelques instants, en navarin de mouton, thon à la charlotte, lotte de Capoue, poule au pot, potage, etc. &laqno;Figé comme la belle au bois dormant dans sa fraîcheur primordiale, l'aliment surgelé sera réveillé par le baiser culinaire, intact» dans sa chair 5.

Chosifié, l'aliment moderne est paradoxalement porteur de signes. A la reconnaissance directe de son aspect, de ses formes, ses couleurs, ses odeurs qui éveillaient nos sens, s'est substituée pour le rendre de nouveau appétissant, désirable, une écriture, un reformatage magnifiant son contenu. Bien difficile, n'est ce pas de sentir l'odeur d'un fromage, d'une pomme, d'un biscuit, d'un poisson pané sous le masque de leurs emballages. La plupart des produits alimentaires ne sont plus appréhendés qu'au travers de l'image sémiotique que renvoient l'objet manufacturé ou l'expression de sa publicité. Créée pour séduire au premier regard le consommateur, cible de l'industrie marketing, cette image a contribué à la dématérialisation de l'aliment moderne et à sa requalification en objet culte de l'industrie agro-alimentaire. Doit-on toucher à son Yop au risque d e marcher à côté de ses Nike ?

Quelques pas à franchir qui mènent du consommateur à l'individu citoyen du monde

Avant l'émergence sur la scène publique des épidémies communautaires ou toxi-infections, selon les euphémismes des spécialistes de la santé, l'aliment moderne, ainsi chosifié jusqu'à son réveil culinaire, atteignait une dimension virtuellement spectaculaire, pure image immaculée accompagnatrice de nos modes de vie moderne. Cette image rayonnante orientait le consommateur dans ses choix difficiles, confortait son sentiment d'appartenance à la Civilisation hautement techno-civilisée qui est la notre, maître de la Nature et de ses lois. La consommation de l'OCNI, messager de la surnature, fruit divin de la techno-science, transposait symboliquement le consommateur au dessus de l'animalité. Mange l'hostie régénérente pour ton bénéfice santé, et garde la ligne ! Il n'est pas rare dans les sociétés dites primitives, que le chasseur absorbe le foie du gibier abattu pour s'emparer de sa force.

Les scandales alimentaires ont quelque peu déchiré cette image aliénante et instauré le doute, le désenchantement au regard des pratiques de l'industrie de l'agro-business. A l'image fantasmatique de l'aliment post-nature s'est substituée celle de la réalité sordide de l'agriculture productiviste avec ses batteries d'élevage, ses chaînes d'abattage etc, avec ses nuisances, causes de dommages irrémédiables sur l'environnement (pollution, des nappes phréatiques, appauvrissement de la bio-diversité, etc).

Lorsque des mains du prestidigitateur s'échappe un vol de colombes, le public émerveillé applaudit au spectacle. Qu'il y ait un truc, nul n'en doute. Mais, ne serait-ce qu'un instant, complice avec l'homme ou la femme de l'Art, chacun veut croire à la... Magie. Le magicien-cienne aux doigts de fée, sait masquer le truc dans l'ombre de ses manches.

Lorsque de son chapeau, l'industrie de l'agro-business, sort un lapin faisandé, le consommateur est tout dabord très mal dans son assiette, ne serait-ce qu'un instant, car toute la machinerie de transformation du vivant en objets de profit, se trouve révélée comme un mauvais tour de passe-passe. Les truchements répétés de l'OCNI lui parviennent des coulisses et remontent de ''l'arrière-cuisine». Le charme cesse d'opérer.

Aujourd'hui l'assujettissement du vivant, par les firmes multinationales, entre dans sa phase terminale : Des manipulations génétiques sont désormais opérées par la techno-science sur le patrimoine génétique de tous les organismes vivants.

Il aura fallu le sabotage de maïs transgéniques dans une usine Novartis, le 8 janvier 1998 à Nérac, par des membres de la Confédération Paysanne, pour que soit dévoilée au grand jour, la présence dans notre alimentation des Organismes Génétiquement Modifiés, les OGM. Les plantes OGM sont en effet transformées par l'industrie agro-alimentaire en produits destinés à l'alimentation humaine et animale. Leur mise en culture et leur commercialisation s'effectuent sans que leur innocuité sur la santé du consommateur et sur l'éco-système n'ait pu être prouvée, ni même exigée des politiques. En effet, un OGM échappe aux études particulières puisqu'il est jugé, par les experts bio-technos, substanciellement équivalent à un organisme traditionnel. Aussi à l'heure actuelle, des OGM peuvent se trouver dans les produits dérivés du maïs et du soja, (farines, protéines, amidon, huiles, lécithines, maltodextrine, sirop de glucose, dextrose..ect). Ces produits dérivés entrent dans la composition de nombreux aliments modernes, (pâtes, gâteaux, plats cuisinés, chocolats, confiserie etc) 6.

La révélation des scandales alimentaires et l'arrivée des OGM dans le panier du consommateur, marquent l'effondrement de l'imagerie fantasmatique de l'aliment post-nature. Les réactions hostiles du consommateur et des producteurs de la Confédération Paysanne, au travers des actions de destructions de champs de cultures transgéniques, nous apparaissent alors moins comme manifestations psychotiques que l'expression d'une prise de conscience justifiée des méfaits de la techno-science sur le vivant et par là même sur notre santé et celle des générations futures. Libéré des artifices de l'image, le consommateur retrouve un lien à l'animalité. Conscient d'être, lui aussi, maillon du vivant, peut-il entrevoir qu'il n'est désormais plus à l'abri, lui non plus, de la chosification et de l'aliénation devenue monnaie courante de l'économie mondiale et libérale. De-là à faire le rapprochement avec ses conditions aliénantes de vie et de travail, de précarité où de chômage, il n'y a plus que quelques pas à franchir qui mènent du consommateur à l'individu citoyen du monde.

Lorsque l'intérêt général s'efface devant les intérêts financiers des firmes transnationales, est-il en droit de refuser et de dénoncer avec vigueur, au besoin par l'action directe non violente et la désobéissance civile, toutes formes de résignations ou d'absence du politique, toutes complicités des autorités, tout fatalisme et banalisation des risques par les experts, juges et partis des firmes agro-alimentaires !

Cette perte d'image inquiète terriblement les industries agro-alimentaires plus que notre santé et l'environnement; voici un exemple édifiant d'humanité de compassion et de responsabilité, relevé pour vous dans le programme du Colloque organisé à Paris le 19, 20 et 21 janvier 2000 par un panel d'industries de l'agro-business et d'experts à leur soldes : &laqno;Vache folle, poulets à la dioxyne, listéria... Les crises agro-alimentaires sont dramatiques pour les entreprises qui en sont victimes».

L'enjeu de cette &laqno;Conférence d'exception» est de démontrer aux &laqno;acteurs de la chaîne agro-alimentaire» l'opportunité et la pertinence économique du développement de nouvelles filières garanties non OGM, d'apprendre à &laqno;gérer une crise», à &laqno;Rebondir et Gérer l'après crise», ou &laqno;Comment reconstituer votre image face au dénigrement».

La traçabilité des produits OGM, l'étiquetage des produits en contenant, la création de filières garanties OGM, sont destinés moins à protéger le consommateur qu'à revitaliser l'image des produits post-natures. Ces mesures conduisent également à une banalisation et une acceptation des risques que font peser les manipulations génétiques sur les écosystèmes, notre santé et celle des générations futures. Elles maintiennent ce que dénonçait José Bové avec la Confédération Paysanne, &laqno;un système de production d'une nourriture pour pauvre produite par des paysans riches et d'une nourriture pour riches produite par des paysans pauvres». Les produits labellisés Non-OGM, plus chers sur les rayonnages, ne seront pas à la portée des plus pauvres. En dernière analyse, c'est la création d'un nouveau marché pour pauvres, calé loin derrière le produit bio et le produit alimentaire industriel devenu classique. En quelque sorte le NON OGM intégré à la filière devient le mode de faire valoir et de régénérescence de l'objet post-nature pour les classes moyennes. Quant aux plus pauvres, ils n'auront pas d'autres choix que de consommer les produits les moins chers pour la plus part à base d'OGM, certes cette fois-ci étiquetés... &laqno;Les consommateurs ont le droit à l'information» selon le ministre de l'agricuture Jean Glavany, PS, favorable à l'étiquettage, c'est à dire à la production des produits OGM.

Andréas

 

1 Le Monde, 25 sept 1999.

2 Science et Vie de septembre 1999.

nous y avons puisés tous ces chiffres et non l'idéologie.

3 idem 2 ; article de Claude Fischler, la vache folle et après.

4 Roland Barthes ; L'empire des signes,

Flammarion, Paris 1970.

5 Moderne et après ? &laqno;Les immatériaux»,

Edition Autrement , Paris1985.

6 Introduction à la liste des produits susceptibles de contenir des OGM distribuée par GREENPEACE, septembre 1999.

PAYS PAUVRES, L'ÉCOEURANT ALIBI

Les multinationales de l'agro-industrie volant au secours des pays pauvres: c'est la scénario de science-fiction que voudraient nous faire gober les zélateurs des OGM. En réalité, comme le souligne Sylvie Bonny, chercheur à l'Inra (1), - ces firmes visent les marchés solvables. Entre 1986 et 1995, seul 0, 7 % des essais aux champs de plantes transgéniques ont été effectués en Atrique. Le génie génétique risque d'accentuer le fossé entre pays développés et certains pays du sud ayant plus difficilement les moyens de le mettre en couvre. Loin de constituer une bouée de sauvetage pour le tiers monde, les biotechnologies permettront de produire dans les pays industrialisés des substituts aux matières premières que nous lui achetons aujourd'hui (vanille, huile de palme). &laqno;On ne m'a cité aucune recherche sur les modifications permettant à des plantes de mieux résister à la sécheresse ou à la salinité», note le député Jean-Yves Le Déaut (2).

 

(1) Le courrier de l'environnement de l'inra, n° 34, juil. 98.

(2) Auteur du rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques sur les OGM.

DOSSIER OGM

042000 l dossier réalisé par Greenpeace, Le BABA de tout ce qu'il faut savoir, indispensable.

(InfoSuds N27 Avril 2000)

La liste des OGM qui trainent dans votre assiette (A BOYCOTTER ABSOLUMENT)

02/2000 liste fournie par Greenpeace. Indispensable pour ne pas muter trop vite...

Transgénique Amer

A propos du procès du Maïs Transgénique qui s'est tenu à Agen...(InfoSuds N21 - 04/98)

Sécurité sanitaire et alimentaire

Des Hépatites à l'amiante, détour par les OGM, dernières balises avant mutation...