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Le Mirail a Toulouse : un quartier abandonne

Un enseignant de la Zep du Mirail, qui connait depuis plusieurs années le quartier et sa situation scolaire, dresse un constat alarmant. Derrière un &laqno;décor» de façade, c'est tout un quartier qui est laissé à l'abandon, avec des familles dans la misère et les jeunes dans la rue.

L'école des pauvres

La Zep, c'est une zone d'éducation prioritaire; en gros il y a moins d'élèves par classe et une valorisation des projets éducatifs par des financements. Moi je ressens qu'il y a une rupture depuis trois ou quatre ans sur Toulouse, je ne sais pas comment ça se passe dans les autres Zep. J'ai l'impression que cette politique a porté ses fruits pendant un certain temps, ça a pu soutenir certains enfants, leur permettre de réussir scolairement. Par contre depuis quelques années, sur ce quartier, on assiste à une dégringolade, non pas pour l'instant en termes de réussite scolaire par rapport aux évaluations nationales à l'entrée en sixième, mais en termes de déstructuration du tissu social, déstructuration des familles. On a l'impression que cette manne financière ne suffit plus et qu'on est encore dans une pénurie de moyens : on a de moins en moins de moyens en Zep pour une demande de plus en plus forte au niveau des prises en charge d'enfants, des soutiens. C'est un sujet d'inquiétude au niveau des Zep à Toulouse.

On assiste à une ségrégation de plus en plus féroce parce qu'on oublie de compter les investissements des familles des classes moyennes ou bourgeoises pour leurs enfants. Et là on est à côté de la plaque, car au delà du parcours scolaire il y a tout un tas d'aides fournies aux enfants par le biais des loisirs, des cours particuliers, de l'aide à la maison, des aides paramédicales, etc... Il y a une aide considérable pour les enfants des classes moyennes et bourgeoises, et dans ces quartiers qui ne sont même plus des quartiers ouvriers, on essaie de masquer une misère qui s'accroit.

Dans l'école on se rend compte qu'on pourrait doubler les effectifs d'enseignants, ça ne suffirait pas. Il n'y a pas assez de travail de lien avec les services sociaux, les services médicaux et il n'y a pas assez de monde au niveau éducatif. C'est la responsabilité de l'ensemble des politiques : le Conseil général de gauche, la Mairie de droite qui fait les entretiens, le &laqno;décor» on pourrait dire, et l'Etat qui par un raisonnement comptable de base compare ce que coûte un éléve de Zep par rapport à un élève hors Zep et dit qu'on est surdoté ou bien suffisamment doté, ce qui est vraiment une mascarade.

Des quartiers déchets

Il y a un travail d'animation et de présence qui est minoritaire, même si on vante l'action culturelle, même si on peut parler du sport, des associations de quartier. Là aussi c'est en chute libre, on ne peut pas répondre à une situation qui fait que la plupart des jeunes sont dans la rue, que les jeunes sortis de l'obligation scolaire à seize ans, pour peu qu'ils soient orientés vers des sections dépotoires, se retrouvent dans la rue et au chômage. Il y a accumulation de sélections insidieuses et même s'il y a une scolarisation à partir de deux ans, de toute façon au bout du compte une minorité va réussir à s'en sortir et la majorité va rester sur le carreau. Dans les pays anglo-saxons on accepte la sélection sociale qui est impitoyable, en France on a une tradition plus étatique avec une vision de partage et de défense collective mais actuellement c'est un masque. On assiste à des replis identitaires sur l'islamisme, sur certaines formes d'intégrisme mais la plupart des gens ne sont pas du tout repliés, ils sont perdus. On a une population de gens paumés qui ne sont plus tenus par les liens culturels de leur pays d'origine ni par les liens culturels du pays d'accueil, qui sont hors jeu, hors cadre et qui sont dans une forme de mise à déchet. Et c'était symbolique de voir comment a été faite la contention de l'émeute qui a suivi la mort du jeune Habib : les CRS étaient tout autour du quartier avec cette idée de contention de la violence ou de la dérive. On les laisse entre eux, on est autour, on empêche que ça aille ailleurs. On est dans une logique de désinvestissement social et de stigmatisation d'un quartier.

Un autre élément de ségrégation et de discrimination dans ces quartiers, c'est qu'on peut constater qu'à partir de 19 heures l'ensemble des travailleurs sociaux ont disparu du quartier. On se retrouve avec un quartier à l'abandon, reposant uniquement sur des jeunes nombreux qui n'ont rien à faire, pas de lieux de vie, pas de bars, pas de commerces, pas d'animation de quartier qui soit vraiment normative et il n'y a plus les tuteurs, les éducateurs ou les encadrants de la journée. C'est absolument étonnant, ce sont des quartiers qui sont morts après 19 heures, qu'on évite, et qui sont uniquement surveillés par la police ou la Bac. Ca doit nous interroger sur la réalité de la ségrégation sociale dans ce pays. D'une certaine façon c'est un ghetto et on ne veut rien en savoir à partir d'une certaine heure.

Il y a une dizaine d'années, il y avait une mixité sociale au niveau des élèves de la Zep alors qu'aujourd'hui les parents à projet, quel que soit le milieu d'origine, essaient par tous les moyens de mettre leurs gamins ailleurs. Donc on a une dérive, progressivement on a le noyau lourd, des familles sans projet, déracinées, aculturées, qui se retrouvent coincées finalement dans le système Zep. Une population de plus en plus pauvre et démunie. Arrivent sur le quartier des gens qui ne restent pas, qui n'ont aucune histoire du quartier, qui ne sont pas dans le lien et donc un grand remue-ménage pe manent dans les écoles. Ca arrive, ça part et puis il y a ceux qui sont coincés là pour des raisons économiques et de logement et qui n'ont d'autre issue que de subir ce modèle d'exclusion.

Ne pas trop exposer la misère

Dans les années soixante on avait peur des jeunes de banlieue. Maintenant c'est la grande peur sociale. La manière dont les média ont traité la mort du jeune Habib est scandaleuse : nous sommes dans une société spectacle et il ne faut surtout pas déranger les fonds de pension et il ne faut surtout pas, en dehors de quelques poussées éruptives, déranger le capital qui n'en à rien a foutre de tout ce qui peut se passer dans ces quartiers-là. C'est très éclairant sur la société capitaliste moderne : cette logique de l'individu seul, de l'anonymat et de l'absence de possibilité de se retrouver à plusieurs pour revendiquer des droits collectivement. Il y a une décrue au niveau politique après le mouvement beur, après les mouvements anti-racistes, on est plutôt du côté de la désespérance.

La misère devient une affaire privée, une affaire familiale ou avec un clan d'adoption ou du pays d'origine, mais quelque chose de très rétréci et qui se cache. Il faut là encore ne pas trop exposer la misère. On a tous les ingrédients pour une société dépressive avec passage à l'acte soit du côté de la violence, soit du côté du suicide puisque dans ces quartiers il y a aussi beaucoup de suicides. Les phénomènes de violence, où par désespoir on casse tout sur le quartier où on vit, car à la limite il ne s'est rien passé, il n'y a pas eu d'insurrection, on n'est pas allé prendre d'assaut un bâtiment officiel, c'est là qu'on voit qu'il n'y a que l'affect et pas de logique politique vraiment dominante, ou alors pas encore émergente. Il y a quand même eu une tentative d'essayer de faire du collectif, on est passé de la bande à quelques centaines de jeunes. C'est dans la logique du capitalisme qui est de plus en plus illisible et invisible puisque tout se fait par ordinateur, sans laisser de trace. Pour atteindre les maîtres au pouvoir, les maîtres de la finance, on n'a plus d'autre solution que de se retourner contre soi ou son environnement. C'est très éclairant de la réussite de ce discours capitaliste qui arrive à toujours plus diviser pour régner et créer de la ségrégation pour se développer.

Propos recueillis par Sam

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